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Royaume-Uni | Le rocker Pete Doherty se lance dans l’hôtellerie

Pete Doherty et Carl Barât ont formé le groupe de rock le plus trash du Royaume-Uni. Aujourd’hui, ils se rachètent une conduite en ouvrant une boutique-hôtel à Margate.

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Nous sommes dimanche, c’est presque l’heure de fermeture du restaurant de ce nouvel hôtel de Margate, station balnéaire au bord de la Manche. La vue sur le ciel gris est à couper le souffle. Au fil de sept services, nous nous sommes régalés de ce que la pointe orientale du comté de Kent a de meilleur à offrir.

Le chef Joe Hill, qui a travaillé pour le célèbre chef Gordon Ramsay, a élaboré un menu sensationnel: huîtres de Whitstable, pain au levain, algues marinées, jaune d’œuf de fermes locales, mûres et sureau des environs.

Et pour terminer, une fine mais puissante tranche de bleu du Kent. Les vins assortis, sélectionnés par un brillant sommelier répondant au nom de Shabby, ne sont pas vraiment propices à ma vitalité.

La façade de l’hôtel-boutique derrière laquelle se cachent sept chambres.

 

Nous terminons la soirée dans le sombre bar aménagé dans la cave de l’hôtel, The Waste Land, pour un dernier verre qui menace de devenir celui de trop: une Wasteland IPA, une bière inspirée du gin, « dans laquelle agrumes et épices se rencontrent dans l’amertume, typique de la côte ouest. » Bref, une expérience inoubliable à l’hôtel The Albion Rooms, création et propriété du groupe The Libertines.

Oui, ce groupe de rock… Autrefois le plus dissolu du Royaume-Uni. Performances chaotiques et brillantes, ados hystériques dans la salle, commérages dans les tabloïds – souvent avec Amy Winehouse ou Kate Moss dans le rôle secondaire, fréquents affrontements avec la police ou admissions dans des cliniques de désintoxication: tout cela a fait place à cet immeuble victorien de cinq étages, avec des pièces aménagées par des décorateurs de haut vol comme Rhiannon Sussex, une artiste maison, des soirées littéraires et, bien sûr, bien caché quelque part, un studio d’enregistrement de pointe.

Le Waste Land Bar est certainement un endroit où les quatre trublions britanniques feraient la fête. 

 

Les pires critiques

Lorsque The Albion Rooms a ouvert ses portes en septembre dernier, le copropriétaire Pete Doherty, aujourd’hui âgé de 41 ans, a directement trouvé une description du nouvel hôtel: « un lieu idyllique pour se cacher, parfait pour trouver de l’inspiration, se détendre, écrire, enregistrer, être heureux et profiter de la vie ».

Sur un guéridon dans le studio d’enregistrement se trouvent les outils de travail du groupe de rock: gobelets vides et machines à écrire vintage.

 

Carl Barât, l’autre chanteur, décrit d’une manière légèrement différente l’endroit que le groupe de rock a acheté il y a trois ans: « Pendant longtemps, c’était un B&B, du genre à récolter les pires critiques de tout le Kent. Et le bâtiment était assez délabré », explique l’auteur-compositeur de 42 ans devant un café, cigarette électronique à la main. « Planchers spongieux, murs poisseux, tout était usé! On voyait que le bâtiment avait été magnifique autrefois, mais il était complètement délabré. »

Jusqu’à ce que les quatre membres des Libertines quittent l’étude du notaire avec les clés en poche. « Les premiers mois, ce n’était rien de plus qu’un squat. Toutes sortes de gens entraient et il ne se passait pas grand-chose sur le plan artistique. »

« Par exemple, il y avait un type que je croyais bon artiste, jusqu’à ce qu’il s’avère qu’il avait cogné dans le mur d’un restaurant de la chaîne Nando’s. On l’a donc jeté dehors. Pas à cause de cet incident dans ce restaurant, mais parce qu’il ne produisait pas d’art. C’est vrai, c’était parfois très chaotique. »

The Albion Rooms dispose d’un studio d’enregistrement ultra moderne.

 

Junky Pete

La dernière fois que nous avons rendu visite aux Libertines pour un reportage, c’était au printemps 2015. Les guitaristes Barât et Doherty étaient en Thaïlande avec Gary Powell (batterie) et John Hassall (basse): ils combinaient un nouveau contrat de disque, l’occasion d’enfin terminer leur album de come-back tant attendu, avec une cure de désintoxication pour Doherty – « Junky Pete », ainsi que les tabloïds britanniques se plaisent à le surnommer.

Doherty n’était pas vraiment en grande forme à l’époque, ni physiquement ni mentalement. Il semblait plus intéressé par l’art qu’il voulait créer, dans sa cave, que par la musique. Et cet art, il le réalisait avec son médium préféré: son propre sang!

The Albion Rooms ©Jason Knott

 

C’est vrai, les choses dérapaient parfois vraiment, comme lorsqu’il avait pénétré par effraction dans l’appartement londonien de Barât, alors que ses trois collègues étaient en tournée au Japon sans lui. Doherty a écopé de six mois en prison. Si vous ne connaissez pas l’histoire, tout est expliqué dans l’une des toilettes de The Albion Rooms, où des coupures de presse relatant l’incident ont été collées sur le mur.

Dans la salle de bains, des produits de soins de grandes marques telles que Haeckels.

 

Mais c’était il y a cinq ans et dans l’intervalle, les Libertines ont changé de cap: ils dirigent maintenant un hôtel-boutique. Le bâtiment qu’ils ont acheté en 2017 pour environ 530.000 euros est loin d’être désert et délabré.

Pierre par pierre, il a été métamorphosé en un luxueux petit hôtel de sept chambres, avec des produits de soins de grandes marques telles que Haeckels dans la salle de bains. Le nettoyant pour le visage, par exemple, est à base d’algues, et celui pour la peau, d’argousier. Quant à l’après-shampooing bioénergétique, il est aux orties. Voilà les Libertines enfin purifiés.

The Libertines, de saccageurs à propriétaires d’un hôtel. 

 

Pas des hôteliers

« J’ai l’impression d’avoir le meilleur job dont on puisse rêver dans l’horeca », déclare Becca Hughes Davies, la directrice des lieux. Becca a 34 ans. Jusqu’en mars dernier, elle travaillait dans un hôtel de ski dans la mondaine station de Courchevel. Mais elle a préféré rentrer au Royaume-Uni pour s’occuper de The Albion Rooms , qui a nécessité trois ans et énormément d’argent pour être ramené à la vie par les Libertines.

Nous avons sans aucun doute dépensé deux fois plus d’argent que nécessaire.

CARL BARÂT
MEMBRE DES LIBERTINES

 

Comme le dit Barât avec un clin d’œil: « Nous ne sommes pas des hôteliers ou des promoteurs immobiliers, ce n’est un secret pour personne. Nous avons procédé par tâtonnements. Et nous avons sans aucun doute dépensé deux fois plus d’argent que nécessaire. »

Mais maintenant, tout est exactement comme les boys le veulent: des dessins des membres du groupe sur les murs, sous différentes formes, un « vape pack » dans chaque chambre, de la peinture dorée sur les lits, un papier peint avec motif peau de crocodile, mais aussi un Christ en croix, des oreillers avec imprimé léopard, des téléphones pliants Motorola à côté du lit, et une carte de visite d’un travailleur du sexe au format poster (« pour les mamelons les plus savoureux de Londres, appelez le 836 7890 »).

The Albion Rooms

 

Margate

Je passe la nuit dans la chambre « William Blake », décorée par Barât himself. Dans le dressing, on peut voir un tableau de Will Bianchi représentant Joe Strummer, le chanteur décédé des Clash, alors qu’il traverse la rivière à la recherche d’âmes cachées quelque part au fond de l’eau. « Wish you were here », crient-elles joyeusement. Si seulement tu étais là…

Mais The Albion Rooms est également convivial et accueillant. Il faut bien. Comme le reconnaît ouvertement Barât, le groupe n’est pas suffisamment populaire pour survivre à cette rénovation ultra coûteuse rien qu’avec des fans.

La chambre « William Blake », The Albion Rooms. ©Jason Knott

 

Sans compter que le Covid a également frappé la station balnéaire branchée de Margate, à environ deux heures de route à l’est de Londres. The Albion Rooms ne tournait pas encore à pleine capacité, ce qui est idéal car cela donne à la direction le temps se rôder.

Durant les premières semaines qui ont suivi l’ouverture, les fans, les amis ou la famille n’ont d’ailleurs pas été les seuls visiteurs: « Nous avons également accueilli un couple londonien âgé d’une septantaine d’années, qui a séjourné ici la semaine dernière. Ils cherchaient tout simplement un endroit agréable à Margate, avec une bonne table. Lors de leur dîner, Carl était assis à la table voisine et ils n’avaient aucune idée de qui il était. Génial! »

The Albion Rooms est également convivial et accueillant. ©Jason Knott

 

La suite Doherty

Ce couple londonien n’a probablement pas séjourné dans la suite décorée par Doherty. La suite « Emily Dickinson » (Dickinson est l’une des poètes préférés de Doherty) affiche de voluptueux nus victoriens sur les murs, à côté de ce que Peter a dessiné sur le mur et que Barât décrit comme un « cœur ensanglanté ».

S’agit-il d’une de ses authentiques peintures au sang? « Je ne sais pas », répond Barât tout en plissant le front. « Mais ça y ressemble. Et si c’est le cas, il n’y a pas de problème d’hygiène: nous l’avons protégée avec un verre. »

La suite « Emily Dickinson », décorée par Doherty. ©Jason Knott

 

Doherty ne sera d’ailleurs pas ici cette semaine. Il était par contre présent le mois dernier, après un concert « corona proof » des Libertines à Newcastle. Il a profité de sa présence pour enregistrer avec ses potes une dizaine de nouvelles chansons pour un quatrième album.

Nul n’ignore que Doherty lutte contre la dépendance. Pas toujours vraiment compatible avec un rôle d’hôte.

 

Mais le chanteur est maintenant retourné en France. « Il a une grande maison là-bas, sur les falaises normandes », explique Barât. « Avec une petite pièce dans laquelle il crée de l’art. Ensuite, il boit du brandy et sort se promener en compagnie de ses animaux. »

Sans Doherty dans les parages, Barât se glisse dans le rôle de Basil Fawlty et accueille donc les premiers visiteurs « professionnels » de The Albion Rooms. C’est peut-être aussi une bonne chose: nul n’ignore que Doherty lutte depuis longtemps contre la dépendance. Pas toujours vraiment compatible avec un rôle d’hôte.

Le mois dernier, Doherty a enregistré avec The Libertines une dizaine de nouvelles chansons dans le studio. ©Jason Knott

 

Clinique de désintoxication

Tandis que nous discutons avec Barât et Hughes Davies, le chanteur Jack Jones fait irruption dans le studio d’enregistrement avec son groupe gallois Trampolene. « C’est tout simplement génial! », s’exclame-t-il. « Je ne veux pas savoir combien d’argent ils ont dépensé pour ce studio. C’est de la folie: rien que la table de mixage coûtait déjà environ 90.000 euros. » Il aimerait se joindre à nous pour prendre un verre.

Seulement, il est maintenant abstinent. Une étape inévitable dans la vie de quelqu’un qui a été membre de l’autre groupe de Pete Doherty pendant trois ans. « Oui, pendant trois ans, nous avons pas mal ri et appris toutes les… euh, ficelles du métier! », s’exclame Jones en riant. « Comme une vraie rock star. »

The Waste Land, le bar de l’hôtel.  ©Jason Knott

 

Mais la maladie de Crohn contre laquelle il luttait ne l’a pas aidé à digérer tout cet alcool, bien sûr. « J’étais une épave et j’ai réalisé que je devais arrêter de boire. Je l’ai fait, sans aller en clinique de désintoxication. » Et d’ajouter: « C’est comme ça que Pete me présente parfois sur scène: ‘Mon seul guitariste qui n’a pas fini en clinique de désintoxication.’ »

The Albion Rooms

 

Il est peut-être préférable que Doherty ne soit pas constamment ici. D’autant que Carl Barât aime recevoir les honneurs. Quand il peut, bien sûr. Il vit avec sa femme et ses deux jeunes enfants dans l’est de Londres et ne peut donc pas être présent en permanence.

« Oui, c’est ça », explique-t-il. « Les clients s’attendent à ce que je sois là, ils viennent voir un membre des Libertines. Et ils sont déçus s’ils ne me voient pas à la réception. » Et puis, après un bref silence: « Bah, dans quelques années, je serai peut-être là 24 heures sur 24, sept jours sur sept. »

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