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Portrait : Laurence Mentil, la femme de l’ombre derrière l’empire Cyril Lignac

Cette Marseillaise influente gère les affaires du médiatique cuisinier depuis quinze ans. Mais qui est vraiment Laurence Mentil ?

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Si vous déjeunez un midi au très huppé Bar des Près, peut-être apercevrez-vous cette grande quadragénaire blonde au regard déterminé en train de picorer du riz vinaigré surmonté de saumon cru et de nombreuses lamelles d’avocat – un plat non inscrit à la carte que lui prépare habituellement l’établissement. Jamais de thon en revanche, elle déteste ça. À moins que vous ne croisiez cette élégante habillée en Isabel Marant, bracelet Goossens au poignet (un des artisans de la maison Chanel), dans l’un des trois autres établissements parisiens de Cyril LignacLe Chardenoux par exemple, bistrot centenaire au décor Belle Époque où les habitués viennent pour les brioches en portefeuille toastées et garnies de homard, salade sucrine et sauce cocktail. Qui se douterait alors que cette Marseillaise est à l’origine du succès du plus populaire des chefs français de ce début de siècle ? Non pas que ce dernier doive toute sa carrière à cette femme de l’ombre mais toutes les personnes sollicitées, des amis à certains collaborateurs désabusés, jugent que sans elle, pas de « phénomène » Lignac. De Laurence Mentil, il n’existe rien ou presque. Un article du site Do it in Paris publié en 2017. Une intervention lors d’une conférence professionnelle filmée la même année. Le Tout-Paris de la gastronomie l’a vaguement croisée un jour ou connaît son nom mais peu peuvent revendiquer leur proximité. « Je ne connais pas son cercle, c’est quelqu’un d’assez secret », confesse une communicante en vue. Même ceux qui la fréquentent depuis une décennie s’excusent par avance de ne pas avoir grand-chose à dire. Un portrait dans Vanity Fair ? « Quelle drôle d’idée », s’amuse un observateur du milieu à fourchette. « Je peux vous aider mais je ne le ferai pas sans lui en avoir parlé d’abord », prévient une journaliste. « Elle est au courant ? », s’inquiètent certains de nos interlocuteurs.

De Marseille à Paris, en passant par New York

Rendez-vous est pris début octobre. La porte vert sapin qui abrite les locaux du groupe Cyril Lignac est à l’image de sa directrice générale : plus discrète que discrète. Pas même une plaque pour signaler la présence d’une entreprise de 150 personnes qu’incarne l’un des plus grands animaux médiatiques de ces vingt dernières années. Il est dix heures passées dans cette salle de réunion chic, à l’intérieur velours et aux luminaires papillons chinés, lorsque Laurence Mentil déroule son parcours avec un léger accent qui s’accélère et trahit ses origines. Naissance en mai 1980 à Marseille. Père employé à l’urbanisme par la mairie, mère en poste à la Sécurité sociale, un frère, et une enfance « très aimante » à Saint-Loup, un quartier résidentiel et sans histoires de la cité phocéenne. Comme tous les provinciaux un peu ambitieux, Laurence Mentil ne rêve que d’une chose : gagner la capitale. Ce sera chose faite dans le cadre de son BTS en communication avec un stage chez Adidas qu’elle décroche grâce au réseau d’anciens de son école. Pendant six mois, elle découvre les allers-retours de son service avec les journalistes, rencontre Zinédine Zidane (la marque est alors l’équipementier officiel de l’équipe de France de foot) et le couturier star John Galliano, fan d’Adidas et avec qui la marque organise de nombreux événements. « C’était une période vraiment extraordinaire à la suite de laquelle je me suis dit qu’il fallait que je reste définitivement à Paris. »

 

Changement de décor mais ambiance toujours triée sur le volet au sein de La Cantine du Faubourg, l’un des restaurants les plus branchés de l’époque, pour qui elle négocie avec des entreprises désireuses de louer ce lieu bardé de faux plafonds déstructurés et dont les écrans occupent la moitié des murs. Madonna y donnera même un concert pour 300 happy fews. « J’y ai passé deux ans et demi mais je crois que c’est comme si j’avais fait le double tellement c’était intense ». Elle décrit ses patrons, Pierre Pirajean et Héléna Paraboschi comme « très exigeants » mais revoit encore ce couple qui détient des hôtels et restaurants entre Ibiza et Marrakech. À l’époque, Pierre Pirajean sympathise avec l’un de ses clients réguliers, un certain… Cyril Lignac et tope avec lui pour lancer la première affaire parisienne de ce dernier. Le joyeux Aveyronnais, lui, n’a pas 30 ans. Ses cheveux débordent sur son visage et il démarre tout juste l’aventure Oui Chef !, adaptation M6 d’un programme britannique qui suit les coulisses de l’ouverture accélérée de restaurants par des brigades de jeunes en décrochage scolaire. De son côté, Laurence Mentil esquisse un début de rêve américain et part trois mois à New York où elle intègre une agence évènementielle, un « boulot alimentaire ». Elle rentre au pays pour mettre à jour ses papiers administratifs et prolonger sa parenthèse outre-Atlantique de trois autres mois. Un soir, elle recroise Cyril Lignac, qui côtoie la même bande d’amis qu’elle, à La Cantine du Faubourg. « La télé, ça avance, l’émission marche, je cherche quelqu’un pour m’aider… », lui propose-t-il. Adieu Big Apple, la voilà sur d’autres rails à jouer à l’assistante et à des missions commerciales pendant que les clients se précipitent moins pour le burger de poulet gratiné à la mozzarella ou le tartare de daurade et mangue que pour toucher d’un peu plus près le cuisinier qui monte. Au bout d’une demi-année, une assistante est finalement embauchée pour que Laurence Mentil puisse se concentrer sur les vagues de partenariats et d’événements générées par le tsunami du petit écran.

« Avec Cyril, on est un peu comme un grand frère et une petite sœur, parfois l’inverse »

« Au départ, on n’avait pas de bureaux, je travaillais directement de chez moi. Avec Cyril, on faisait les réunions dans mon appartement », explique-t-elle. Ainsi se noue une collaboration professionnelle qui tangue au fil du temps vers une relation intime. Bavarde quoique maître de son discours tout au long de notre échange (au cours duquel elle emploiera à de nombreuses reprises le mot « contrôle »), Laurence Mentil se fait soudain évasive. Oui, elle a partagé la vie de Cyril Lignac. La Toile bruisse d’ailleurs d’articles people sur leur ex-idylle bien avant celles réelles ou supposées avec les actrices Sophie Marceau et Mélanie Doutey. Combien de temps ? « Un certain temps », élude-t-elle. « On a continué beaucoup mieux en transformant l’essai. Aujourd’hui, on est un peu comme un grand frère et une petite sœur, parfois l’inverse. Mais on a refait nos vies et je ne souhaite pas m’étendre là-dessus par respect pour nos compagnons », conclut celle qui connaît les joies de la parentalité depuis avril dernier avec son concubin, un « Arménien du Liban » qui travaille « dans l’automobile ». Malgré tout, une « relation particulière » entoure le duo Lignac-Mentil. C’est d’ailleurs cette même expression qu’emploiera Cyril Lignac, contacté par téléphone. Quand il s’attarde sur l’aventure qui est la sienne, le restaurateur de 42 ans parle à la troisième personne. Un « on » pas mégalo qui témoigne de l’importance de ce binôme. « LE power couple professionnel du monde de l’entrepreneuriat », avance Élodie Rouge, rédactrice en chef du site Do it in Paris. « C’est plus que la béquille de Cyril : elle est les vertèbres du groupe. Si on enlève Laurence, la maison s’écroule », poursuit avant de se reprendre Sonia Boukhobza, directrice artistique qui collabore avec des grandes maisons de luxe. « Elle est la garante de l’esprit libre de Cyril Lignac. Je ne dissocie pas le travail de Cyril de Laurence », renchérit Elodie Piège, qui en connaît un rayon sur la gastronomie pour gérer les affaires qu’elle et son mari, le chef et ex-juré de Top Chef Jean-François Piège, ont montées ensemble. « C’est mon garde-fou, mon bras droit, c’est avec elle que j’ai bâti mon entreprise. Elle a su écarter les mauvaises propositions, elle m’a guidé et m’a aidé à faire les choix qui me permettaient d’être fidèle à moi-même : cuisinier, pâtissier et entrepreneur », confie Cyril Lignac dans sa biographie Histoires de Goûts (Robert Laffont, 2020) rédigée par la journaliste du Monde Elvire Von Bardeleben. Volontiers cerné par des femmes, dont sa cheffe de cuisine exécutive Aude Rambourg, Cyril Lignac a le « grand talent de bien savoir s’entourer », juge le romancier Paul-Henry Bizon, qui a travaillé sur certains de ses ouvrages. « J’en ai vu des machines chez les chefs mais là, c’est une très belle machine », ajoute Bizon. Psychologie de comptoir ou non, certains y verront un voile maternel, qui plus est depuis la disparition de la propre mère du cuisinier en 2014, à seulement 56 ans.

La patronne d’un petit empire

Considérée comme une « power woman avec une vraie vision de son business » selon Charles Znaty, co-fondateur du groupe Pierre Hermé et président du Medef Paris, Laurence Mentil fait donc aujourd’hui tourner cette « machine » devenue un petit empire : quatre restaurants, six pâtisseries et chocolaterie (qu’ont tenté en vain de racheter des groupes pour accélérer le développement), une intense activité littéraire (sur Amazon, près de 60 livres portent le nom du chef), des contrats avec des marques et un regard sur toute la partie télé même si Cyril Lignac gère cette dernière au sein de sa propre société de production, Kitchen Factory, au côté de son associé Matthieu Jean-Toscani (moins d’une dizaine de salariés à l’année mais les équipes peuvent monter jusqu’à 70 pour le tournage d’un programme comme Le Meilleur Pâtissier). C’est que Lignac est la poule aux œufs d’or de M6, que l’on disait à tort investisseur dans son premier restaurant. Lancée à la va-vite, l’émission Tous en Cuisine, dans laquelle des célébrités s’invitent en visio-conférence dans les cuisines personnelles de la toque star, fut l’un des métronomes du confinement de mars à juin. Succès oblige, le programme a été prolongé à la rentrée. On n’en saura pas plus mais les deux entités discutent actuellement d’un partenariat non axé sur la télé. Des écoles hôtelières Lignac financées par M6 ? Et pourquoi pas… Après tout, la Six avait injecté de l’argent pour structurer le réseau de magasins de son agent immobilier phare Stéphane Plaza. En parallèle, les éditions de La Martinière couvent, elles aussi, le cuisinier et pour cause : Cyril Lignac a vendu 700 000 exemplaires de ses deux derniers ouvrages aux photos iPhone, publiés entre juin et septembre. Des méga-scores dignes d’une autre époque.

« Elle a énormément de goût et lui a permis de sortir de son statut de petit chef marrant », raconte un ancien salarié.

« Laurence, c’est l’image », expliquait Cyril Lignac lors d’une conférence organisée par la plateforme La Fourchette en 2017, précisant qu’un autre personnage était affairé aux finances (David Van de Kapelle, associé du chef sur ses restaurants et qui s’est retiré depuis après plus de 14 ans de collaboration). L’image avec un grand I, car le rôle de Laurence Mentil est de protéger le temple Lignac dont elle est la gardienne. Des partenariats pour des marques de luxe ou de la lingerie pour homme comme on le lui a proposé ? C’est non. « Quel est le lien ? On ne doit pas sortir du cadre de la gastronomie, afin de toujours centrer sur son métier de cuisinier », tranche Laurence Mentil. « Pendant un shooting photo, ce n’est pas Cyril qui va vouloir refaire un cliché parce qu’il ne se trouve pas comme ci ou comme ça, c’est Laurence », indique Anne Luzin, à la tête de magazines culinaires professionnels. « Sans elle, il ne serait pas où il est. Il l’écoute énormément, ne signera pas un contrat ou une émission sans sa validation. Je pense que c’est elle qui a le dernier mot. Une main de fer dans un goût de velours ? Disons qu’elle a une manière de faire très rigoureuse, très sage. Il aurait pu se cramer les ailes…. Certains chefs auraient été plus ambitieux pour engranger plus d’argent, pas eux. C’est une progression modérée avec du bon sens », analyse Thomas Dhellemmes, photographe qui collabore avec le duo de longue date. Avant les multi-étoilés Michelin Joël Robuchon ou Thierry Marx, Cyril Lignac s’est, le premier, offert un partenariat avec l’enseigne Sushi Shop et un contrat à l’année le lie à l’heure actuelle avec Moulinex, pour qui il monnaye son visage en gros plan au-dessus de nouvelles machines. Bientôt, des poêles et casseroles Lignac feront leurs débuts dans les linéaires de Carrefour. Mais malgré ces extras très rémunérateurs, le chef a su éviter de devenir un homme sandwich. « Laurence et lui n’utilisent pas sa visibilité pour en faire une manne d’argent facile avec des franchises, produits dérivés à tour de bras et foires aux saucisses. Il y a une absence totale de cynisme et d’opportunisme chez eux », observe Delphine Plisson, des épiceries-restaurants Maison Plisson à Paris, avant de reprendre : « Elle me fait penser au Pierre Bergé d’Yves Saint-Laurent. Lui, c’est la vitesse, l’intuition, l’instinct. Elle va canaliser toutes ces énergies et contenir le développement avec beaucoup de sang-froid et d’intelligence. » Même les plus critiques, à l’image de cet ancien collaborateur qui pointe du doigt des employeurs « qui n’avaient pas beaucoup d’humanité et exigeaient un dévouement absolu », reconnaissent les qualités de Laurence Mentil. « Elle a énormément de goût et lui a permis de sortir de son statut de petit chef marrant », ajoute-il. Pour Paul-Henri Bizon : « Elle amène du chic, un cachet parisien ».

Elle l’esthète, lui le visionnaire

Cette griffe, on la retrouve sur les jolis packagings tâchetés de bleu des pâtisseries confiés à l’agence Be-pôles ou dans les restaurants sur lesquels a planché le fameux Studio KO à l’origine du musée Yves Saint-Laurent à Marrakech. Ce soin du détail n’est cependant pas l’apanage de Laurence Mentil uniquement. En privé, on dit Cyril Lignac féru d’art contemporain et de mode, lui qui ne se fait pas prier pour assister aux défilés Chanel. C’est aussi et surtout un restaurateur qui a l’œil. « Il possède une sorte de sixième sens pour ce que doit être un restaurant », ajoute l’ex-salarié qui souhaite conserver l’anonymat. Élodie Rouge parle même d’un visionnaire et précurseur comme avec le restaurant Chardenoux inauguré en 2008. « Il faut se souvenir que c’étaient les débuts de la bistronomie. Il n’y avait pas beaucoup d’adresses dans le genre dans le XIe arrondissement à l’époque, avec de la déco chinée aux Puces de Saint-Ouen ». Deux esthètes donc. Mais c’est leur table la plus récente, la plus réussie de l’avis général, qui est le climax de ce goût du beau : le Bar des Près, sorti de terre en 2016.

 

Une adresse intimiste, à la fois restaurant et bar à cocktails, où se retrouvent les « 100 personnes les plus influentes de Paris », décrit Élodie Rouge. Catherine Deneuve, Lily-Rose Depp, Sandrine KiberlainChiara Mastroianni et des avocats célèbres pour n’en citer que quelques-uns. « Ils ont réinventé l’endroit en en faisant le sushi le plus sexy de la place. Il y a un côté un peu anglo-saxon là-bas, les gens sont beaux, tu as envie de sortir… Le lieu rassemble des choses que j’aime habituellement séparément, comme des baguettes japonaises et des couverts portugais Goa », s’enthousiasme l’architecte d’intérieur Émilie Bonaventure. Dire que l’endroit était jusque-là un centre d’UV… Compte tenu de la structure passée des lieux, il n’était pas possible de proposer de la cuisine chaude. Pas grave, vive le cru dit Lignac. Et voilà comment le Bar des Près, ses sushis d’anguille laquée et ses cocktails à base de gin, shizo, saké, jus de yuzu et litchi, ont réveillé le somnolent Saint-Germain-des-Prés. Qu’est-ce qu’il n’aurait pas pu faire sans Laurence Mentil, demande-t-on à Cyril Lignac ? Il réfléchit quelques secondes. « Tout ». Avant de préciser : « Pour le Bar des Près, elle m’a dit d’arrêter de penser aux codes de la gastronomie, de faire le restaurant de mes rêves ». Car cet établissement glamour agrège aussi la trajectoire du chef. Avant même ses débuts cathodiques au début des années 2000, Cyril Lignac apprend ce sens de la fête lorsque quantité de patronymes célèbres convergent vers le restaurant de Cathy et David Guetta dont il anime alors les fourneaux : Robert de NiroLeonardo di CaprioLenny Kravitz auquel il cuisine du homard – son péché mignon – avec des pommes de terre confites au safran et des gaufres à la crème de noisette qui se succèdent à l’infini.

Un restaurant Cyril Lignac à Londres en 2021

Le succès du Bar des Près, c’est celui qu’ils vont justement essayer de réitérer, à Londres cette fois, dans le quartier de Mayfair où milliardaires et membres de la famille royale prennent le thé et dansent à l’abri des regards dans les sous-sols de clubs privés. Une version british attendue d’ici le printemps 2021, en association avec un groupe externe pour la première fois : Dogus, conglomérat turc qui a fait fructifier sa branche restauration avec des marques dupliquées à travers le globe (Coya, La Petite Maison, Nurs-Et Steakhouse du boucher éponyme et son célèbre tour de main pour assaisonner des viandes…). Et puis il y a la table-interprétation de l’Italie par Cyril Lignac qui débarquera à Paris en janvier prochain. Sans tambours médiatiques et grands effets d’annonce, comme c’est le cas jusqu’à présent pour les restaurants. Cette façon de procéder, comme le souligne Sonia Boukhobza, rappelle un proverbe grec antique dont Laurence Mentil pourrait parfaitement faire sien : « Conduis tes projets en silence, ta réussite se chargera du bruit ».

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