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Hôtelier d’exception | Itinéraire d’un enfant du siècle, Pierre Ferchaud

C'est à la Villa M que j'ai prévu de recevoir mon invité du jour. Sa carte de visite est constellée d'étoiles, de grands noms croisés tout au long d'un demi-siècle de carrière ! 

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Pierre Ferchaud

Officier de la Légion d’honneur, membre fondateur du Club des Dirigeants, expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris, membre de la commission Palaces… mais surtout chevalier de l’humilité devant l’Éternité ! 50 ans à superviser des établissements autrefois 4*L désormais Palaces, 50 années à compter parmi ses amis Marek Halter, Elie Wiesel, feu Koffi Annan (ancien Secrétaire Général de l’ONU), Hassen Fohda, ancien directeur du centre d’information des Nations Unies à Paris, des galeristes et artistes internationaux, à côtoyer parmi ceux qui ont fait la France politique et économique de ces 30 dernières années ! 

Marek Halter, Elie Wiesel, Kofi Annan, Hassen Fohda

J’ai croisé cet « honnête homme » au sens du XVIIème sièce (i.e. « l’homme convenable, modéré, cultivé, qui sait briller en société » comme défini par Le Larousse) pour la première fois en 1991 au Concorde La Fayette , navire nourricier du Groupe Concorde présidé alors par Jean Taittinger

Hôtelier émérite

« À tes yeux, qu’est-ce un grand hôtelier ?  » Souvent la question suivante me fut posée par des amis qui m’interrogeaient sur la chose hôtelière. 

Difficile question car citer un nom c’est classer, hiérarchiser et loin de moi l’idée d’heurter la « cancel culture » !

Mais pour une fois, je transgresse ! Donner envie c’est évoquer la réussite, le succès et dans notre secteur, diriger un Grand Hôtel, un Palace n’est peut-être pas l’objectif de tous mais pour les passionnés, la simple évocation de certains établissements exalte ! Je l’avoue, j’en fais partie !

Parmi les grands noms de l’univers des palaces parisiens cités régulièrement ces 20 dernières années, 6 reviennent comme des repères inévitables lors des conversations entre hôteliers de la capitale :  le talentueux François Delahaye du Plaza Athénée, le visionnaire  Didier Le Calvez jadis à la tête du Four Seasons George V Paris et du Bristol Paris , le discret et ordonnateur Frantz Klein du Ritz  Paris,  l’élégante Franka Holtmann de l’Hôtel Meurice, le dandy et sportif Philippe Leboeuf  désormais à Londres (Hôtel de Crillon, Mandarin Oriental Paris, OWO Londres ) et bien sûr …  l’incontournable et inévitable Pierre Ferchaud, le gentilhomme (définition du Larousse : Homme distingué, qui se conduit avec délicatesse.).

« Pierre est à l’hôtellerie parisienne ce que la partition est à la musique ! »  m’ a récemment dit un de nos amis communs, directeur d’un grand hôtel parisien !

L’humilité comme passeport

En 1980 au Grand Hotel avec Chaban-Delmas

Installé confortablement au restaurant de la Villa M, je guette son arrivée. Je le sais toujours ponctuel et connais ses habitudes :  ainsi va-t-il saluer, dans un premier temps, les collaborateurs de la réception, le personnel de salle. Le voilà. Chose pressentie, chose réalisée. Pas besoin de forcer, le naturel l’emporte, la bienveillance aussi.

À pas de velours, accompagné de ce légendaire sourire mêlant humilité et timidité, il se dirige vers la table non sans observer à droite et à gauche les lieux (déformation professionnelle), à visualiser l’espace, les éventuels points d’amélioration ! « La véritable élégance c’est de ne pas se faire remarquer » disait le dandy anglais George Brummell. Pierre l’illustre si bien. Si le costume a été remisé pour notre moment de convivialité, il n’en reste pas moins qu’il convient, pour Pierre,  « d’être bien mis en toutes circonstances : l’hôtelier aujourd’hui se décline Chic décontracté !

Il arrive. Embrassades. Les premiers échanges fusent, sa voix si singulière glisse des amabilités sincères et sans hubris. Ma vie professionnelle a été ponctuée par le flot de nos rencontres. Il appartient, je le confesse, à mon Panthéon professionnel au même titre qu’un Jean Welti, aujourd’hui disparu, mais qui fut une figure emblématique de l’hôtellerie Hiltonienne !

Évoquer Pierre Ferchaud c’est évoquer un Directeur d’hôtel « armé » de son éternel moleskine : il note tout ! Cette habitude bienheureuse était la marque des hôteliers et notamment des F&B au début de ma carrière…. Désormais, la perfection semble être la règle puisque personne ne prend la peine de noter à l’exception… des clients mécontents !

Pierre écoute et surtout, entend. Il n’est pas de ces Directeurs trouvant refuge dans leurs bureaux. Lui, sa scène est le terrain, la rencontre : il possède la double qualité de l’empathie émotionnelle et comportementale !

Avec Elie Wiesel en 1999

Il possède également le sens de la formule : à plusieurs reprises, lors de nos nombreuses rencontres au cours de ces vingt dernières années, nous avons pu échanger sur de nombreux sujets professionnels et tout naturellement, il ponctuait nos propos en usant d’une citation lapidaire. L’amour des mots et de la langue, héritage de ses études de philosophie, lui ont permis, tout au long de sa vie, de passer d’un Monde social à l’autre balayant tous les registres du langage (du familier au soutenu) !

Les nombreuses citations qui ponctuent cet article sont un hommage au sens de la formule et de la citation si cher à Pierre.

Avec Kofi Annan

Notre rencontre au Concorde La Fayette

Croisé donc pour la première fois au Concorde La Fayette (désormais Hyatt Regency paris Etoile) en 1990, son arrivée dans ce paquebot de 1000 chambres fut vécu alors (j’en suis témoin),  comme « Le » transfert de l’année : l’hôtel, qui avait vu passer le génial Joël Robuchon dans ses cuisines (avec une brigade constituée alors de plus de 200 personnes ), s’était adapté « tant bien que mal » à son époque : le 4*Luxe référence de modernité en 1974 (une époque où on parlait de massification du tourisme et de chambres capsules !) avec son énorme centre de congrès,  sa restauration avant-gardiste pour l’époque [en effet, la restauration comprenait un lobby bar « Le Lafayette » (et son célébrissime  Directeur Chistian Simon ), un bar panoramique  « Le Plein Ciel » au 33ème étage, un restaurant étoilé « L’Etoile d’Or » (Chef Executif, Joël Renty , Chef Gastronomique Jean-Claude Lhonneur, Directeur de Salle Gilbert Bourdin), un restaurant buffet connu du Tout Paris d’alors, « L’Arc en Ciel » (Directeur : Walter Sycha ) et un coffee shop  « Les 4 saisons » (Directeur Alain Venet) ] et ses 1000 chambres dominant l’ouest et l’est parisien était en perte de vitesse !

En 1996 avec Joël Robuchon

Il faut donc vous imaginer que ce paquebot de la Porte Maillot générait alors près de 400 millions de francs (soit 95 millions d’euros d’aujourd’hui!) et comptait plus de 600 salariés ! Parmi ces collaborateurs, beaucoup firent de remarquables carrières :  citons Yves Romain (futur Directeur du Concorde Saint Lazare, du Westminster Paris et du Montroyal Chantilly !), Jean-Paul Daguerre, figure bien connue du Commercial, Gilles Peillon (cofondateur de la chaîne de restauration Pegast), Jean-Pierre Abadie, Pierre-Eric Fleury aux Ressources Humaines (qui sera par la suite le DRH du Groupe Flo Hippopotamus puis de Metro Cash & Carry et auteur à succès de livres dédiés au recrutement), Jean-Marc Santini (figure emblématique du Monde de la Restauration d’hôtel, cofondateur du CDRE et propriétaire de l’Hôtel Goeland Casa Santini à Porto Vecchio), Jean-Claude Eudes (ancien Directeur de l’Agapa, du Relais de la Malmaison…), Philippe Leboeuf , Christophe Laure  ou bien encore, Alain Zacaropoulos, ce grand concierge qui a formé tant de professionnels …

Une époque où le personnel, payé au pourcentage (une femme de chambre percevait près de 13 000 francs en moyenne mensuelle soit 2600 euros en euros constants !), considérait l’hôtel comme partie intégrante de sa vie (au sens positif du terme), une époque où le restaurant « Le Verre bouteille » de l’avenue des Ternes accueillait toute la nuit les brigades salle, cuisine ou réception qui y finissaient leurs services… Autres temps, autres mœurs…

La grandeur d’un métier est avant tout d’unir les hommes ; il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines. Antoine de Saint-Exupéry

L’arrivée de Pierre Ferchaud au « Concorde Lafayette » était celle d’un directeur auréolé d’un prestige « 4*Luxe « (pas de 5 étoiles alors !)  alors âgé de 45 ans, qui avait déjà dirigé des établissements aussi prestigieux que Le Grand Hôtel Intercontinental Paris (à tout juste  34 ans)  ou le Prince de Galles (à 38 ans). Sacré parcours pour ce fils d’agriculteurs. Flashback.

 

Genèse. Une enfance angevine

1961. Nous sommes en pleines « Trente glorieuses » chères à Jean Fourastié. La France rurale et ses 4 millions de paysans est encore bien présente même si l’intensification des cultures est en marche.

Né dans la Vienne, près de l’Isle Jourdain (village natal de Joël Robuchon), Pierre Ferchaud, enfant d’agriculteurs et d’exploitants forestiers pour qui  travail et abnégation  sont la règle, grandira dans la ferme familiale en Anjou, à 20 kms au Nord de Saumur. C’est un élève brillant, tellement brillant qu’il est « fait boursier » par la République et intègre un prestigieux lycée d’alors : l’Institution Saint-Louis de Saumur puis le lycée Saint-Michel à Château-Gontier-sur-Mayenne ! Il y fait alors des études en philosophie. Ce sera l’aîné  et le premier de la famille à passer son Bac ! Souvenons-nous que seuls 12% d’une classe d’âge étaient bacheliers en 1962 !

Il y côtoiera de grands intellectuels ou futurs serviteurs de l’État tel que Jean Arthuis, Ministre d’État du Président Chirac.

Le bac en poche, tout lui semble possible : quitter son village est une évidence, voyager une certitude ! Doué pour les langues, il se rêve alors professeur d’anglais et d’espagnol.

De retour en Anjou, avant de penser à la poursuite des études supérieures, il faut « filer » le coup de main.  La propriété familiale est devenue le lieu de réunion des copains et amis : comme posée délicatement au milieu des bois, la ferme et la forêt familiale sont un formidable terrain de jeu et d’évasion à une époque où le rêve d’Amérique est encore bien présent !

France Ferchaud Dumas-Delage, la maman, a l’accueil au cœur : pour les copains, aller chez Pierre c’est non seulement passer un bon moment mais être accueilli par un cordon bleu doublé d’une hôtesse d’une gentillesse extrême.

De cette enfance rurale, entourée de ses deux sœurs, Pierre conservera des traits de caractère indéfectibles :

  • Une délicatesse naturelle dans la façon de formaliser des consignes que l’on pourrait résumer dans la formule de Charles Handy :

    « Le leader de demain devra avoir une approche plus féminine. Il devra convaincre de faire plutôt que donner des ordres. »

  • Une capacité à créer du lien (et ce qu’importe l’origine ou le milieu social)  et une élégance permanente ! Un véritable intérêt pour l’Autre !

    « Tout homme que je rencontre m’est supérieur en quelque manière. C’est pourquoi je m’instruis auprès de lui. »  Ralph Waldo Emerson

  • Une constance et une régularité au travail et dans les relations aux autres :

    « Qui sait être constant a une âme large ; qui a une âme large est juste. » Citation de Lao-Tseu ; Ta-Tö-King, XVI – VIe av. J.-C.

Mais revenons à ces moments de vie dans la campagne Angevine. À une époque où l’élévation républicaine était un objectif, une réalité. Être « bien mis », rasé de près, être poli et serviable, tout cela était vécu comme un moyen de s’élever et d’échapper à sa condition (la force du monde rural est qu’il a toujours échappé à cette fameuse conscience de classe et, par là même, au déterminisme social, inéluctable et tragique !)

Entre rencontres et discussions avec des amis, Pierre formalise progressivement ses envies d’ailleurs : il se rêvait professeur de langues mais réalise au gré de ses rencontres et amitiés, qu’un seul secteur professionnel peut lui permettre de lier aisément ses rêves de voyage, sa soif de découverte, de rencontres et son envie de bienveillance, de transmettre du bonheur à autrui : l’hôtellerie. Mais l’hôtellerie à laquelle il songe ne se décline qu’en grand, voire très grand et surtout, elle n’existe qu’au cœur des grandes villes !

Il questionne ses amis, rencontre ici et là des professionnels et définit enfin son projet.

Joseph Koscher

Joseph Koscher, ancien proviseur de 1962 à 1982, est né le 4 avril 1921 en Lorraine et décédé le 26 février 2008 à Strasbourg. Marié le 5 avril 1947 à Joséphine Retz, ils sont restés sans enfant. Après son baccalauréat, Joseph Koscher est reçu à l’École Nationale Supérieure de l’Enseignement Technique avec une spécialisation en allemand et en anglais. Nommé Censeur des études de l’École nationale de commerce de Paris, il y crée les laboratoires de langues. En 1962, rue de Lucerne, proviseur de l’École Hôtelière de Strasbourg, il y utilise en linguistique comme en arts culinaires des outils modernes : laboratoires de langues, télévision, nouvelles techniques culinaires (l’induction, le sous-vide et la congélation). Il développe et enseigne des techniques nouvelles pour les plats micro-ondes et/ou surgelés. Il est le président-fondateur de l’association mondiale des écoles hôtelières. Il est aussi le promoteur de la nouvelle École d’Hôtellerie et de Tourisme de Strasbourg implantée à Illkirch. Joseph Koscher a écrit un grand nombre d’ouvrages relatifs aux Arts culinaires, en collaboration avec des professeurs ou de grands professionnels.

De la philosophie à…l’hôtellerie

À l’époque, seules  4 écoles hôtelières sont connues et reconnues : Paris, Thonon, Nice, Strasbourg. Parmi elles, Strasbourg est celle qui possède, alors, la meilleure réputation.

Fort de son dossier scolaire émérite, le bac en poche, après présentation de son dossier et un entretien avec Monsieur Joseph Koscher, proviseur, il intègre l’École Hôtelière de Strasbourg en 1963.

Didier Gros

Arrivé à Strasbourg, il y fera des rencontres déterminantes comme le regretté Didier Gros (ancien Grand Patron et pionnier du groupe Accor), un ami proche. Pour mémoire, Didier Gros présida tout le pôle économique du Groupe et contribua à faire du groupe ce qu’il est aujourd’hui devenu). Durant ses études à Strasbourg, Pierre sillonnera la ville et sa région courant non pas le cachet mais la vacation !

En fin de première année, ses résultats scolaires et sa capacité à faire lien lui permirent d’être sélectionné pour effectuer des stages d’exception. Parmi ces stages d’exception, Le Meurice et le Grand Hôtel Café de la Paix !

Mais l’intégration ne se passera pas comme prévu : l’importance des pourboires « sur la table » faisaient de chacun un « auto-entrepreneur » avant l’heure, les salariés défendaient leurs rangs, leurs « shifts », « leurs clients » ; il y avait les bons clients (ceux qui étaient très généreux !) et… les autres. L’hôtel de luxe des trente glorieuses était une somme d’individualités, pas un collectif !

Stagiaire au Grand Hôtel Paris, première épreuve

Pour un stagiaire soucieux d’apprendre et de participer au développement d’un établissement hôtelier, pétri de principes et de valeurs basés sur l’équité, la justice et l’humanité, voir des professionnels se comporter en « meutes », refusant tout changement et mus quasi exclusivement par l’appât du gain, tout cela l’amena à se poser la question de l’intérêt de ce Métier. Avait-il été naïf ? Rêveur ? Était-il vraiment fait pour ce Métier ? C’était décidé : ce secteur ne saurait lui convenir et lui permettre de s’épanouir ! Cette décision, ce libre arbitre, il le gardera toute sa vie et quand on l’interroge aujourd’hui sur « son moteur », (ce qui l’a porté tout au long de sa vie), il répond presque instinctivement, la liberté !

De retour au Lycée, il fit part à Monsieur Koscher de sa volonté d’arrêter sa formation  pour  prendre une nouvelle orientation avec l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles et donc, de quitter ce secteur de l’hôtellerie restauration !

Ce dernier, s’appuyant sur les excellents résultats de Pierre, de son implication au Lycée, l’enjoignit à rester : un hôtel ne fait pas l’hôtellerie ! Il l’aidera à trouver d’autres stages.

Parole tenue.

EN 1965, BTS en poche, Pierre est appelé pour effectuer son service militaire (2 années à l’époque !) dans l’infanterie à Belfort.

Un concours national « Aspirants cadres »

De retour de régiment en 1967, le jeune Pierre se voit proposer l’inscription à un concours national jeune diplômé « d’aspirant Cadre » lancé par plusieurs acteurs de la profession. Ce concours est l’ancêtre des « Management Trainee» et autres « Fast tracks » que nous connaissons aujourd’hui mais dans un spectre beaucoup plus large puisqu’impliquant plusieurs groupes hôteliers. Devant passer par tous les départements, en mai 1968, il fuit le chaos de l’agitation soixante-huitarde et démarre à Londres au Grosvenor House Hotel  en qualité de cuisinier et Contrôleur des coûts  puis rejoint en 1969 l’hôtel Meurice à la réception (room service, réception et caisse) avant d’être transféré à Madrid au fameux hôtel Palace au poste de Réceptionnaire caissier. En 1971, le voilà de nouveau à Paris au… Grand Hôtel en qualité d’assistant Chef de réception avant d’intégrer le bureau des Méthodes, Etudes et Travaux, puis les Ressources Humaines et le Département Restauration du Meurice. En 1975, il revient à la Société Nouvelle du Grand Hôtel en qualité d’Assistant directeur d’Exploitation. Il y restera 7 années et y fera des rencontres déterminantes.

 

1979, devant le Grand Hotel

Sauver le Grand Hotel Paris

Au Grand Hôtel, il est promu Sous-Directeur et supervise le Cost Control sous l’autorité du Directeur Général de l’époque. Une époque de transition difficile pour l’hôtellerie parisienne et plus particulièrement pour le Grand Hôtel.

Monsieur Georges F. Mossé, Président de la Société Nouvelle du Grand Hotel, a été mandaté pour redresser le Groupe, dont le Grand Hôtel et le Café de la Paix.  Sous sa présidence, durant près de 7 ans, Pierre Ferchaud aura la responsabilité du contrôle des coûts, du contrôle des recettes de l’établissement, poste stratégique voulu et défini par le Président Georges Mossé et pierre angulaire de sa stratégie de redressement !  À une époque où aucun tableur n’existait (où Bill Gates vient tout juste de créer Micro-Soft qui deviendra plus tard Microsoft et son premier logiciel Altair Basic), l’analyse de données demandait une organisation sans faille, une présence permanente et une abnégation totale !

« Le seul endroit où le succès vient avant le travail, c’est dans le dictionnaire. » Vidal Sassoon

En 1978, le redressement de la Société Nouvelle du Grand Hôtel par
Monsieur George Mossé – Article Le Monde du 2/12/1978
Le jeudi 7 décembre, M. Maurice Doublet, directeur de cabinet de M. Jacques Chirac, maire de la capitale, remettra la médaille de vermeil de la Ville de Paris à M. Georges Moss, vice-président-directeur général de la Société nouvelle du Grand Hôtel (S.N.G.H.). Cette manifestation, qui consacrera le redressement financier du groupe hôtelier du Grand
Hôtel, du Meurice, du Prince de Galles et du Café de la Paix, sera l’occasion pour M. Mossé de lancer, en France, la chaîne Meurice
International Hôtels.
Entre le moment où les cinq filles et les cinq gendres de M. André Millon, fondateur du groupe immobilier qui rassemblait les trois
palaces, le Café de la paix et la Rente foncière, décidèrent, en 1972, de céder leurs actions à la Compagnia Italiana dei Grandi Alberghi (CIGA)
et le moment, au début de cette année, où cette même CIGA rétrocéda 91 % des actions de la S.N.G.H. à la société Limnico (le Monde du 3
février 1978), les péripéties juridico-financières ont représenté le quotidien de l’empire du Grand Hôtel. De constitution de sociétés
filiales en O.P.A. et de ventes en lease-back en emprunts tous azimuts, la société hôtelière a été véritablement mise à mal. Car ces nœuds
d’intrigues, que seuls des spécialistes du droit des sociétés et des experts-comptables peuvent apprécier, aboutirent rapidement à des
bilans négatifs et à une démoralisation des équipes dirigeantes. Si bien qu’en 1974 la Société du Grand Hôtel était en passe de sombrer.
Le passif de la CIGA
Six ans après l’arrivée du capitalisme  » flamboyant  » de la CIGA dans la société, celle-ci affiche des états de santé qui prouvent que la
convalescence a été pratiquement menée à son terme. De 1975 à 1978, le chiffre d’affaires du groupe est passé de 77 millions de francs à 142
millions de francs. Après amortissement de 20 millions de francs chaque année, les résultats nets des comptes d’exploitation ont été
dans le même laps de temps de -27 millions de francs (1975), de -21 millions de francs (1976), de – 8,7 millions de francs (1977) et
vraisemblablement de – 2 millions de francs cette année. Le bilan est devenu positif depuis 1977, année qui a enregistré un solde créditeur de 250 000 francs.

Pierre Ferchaud ajoute : « Durant toutes ses années au Grand Hôtel de 1971 à 1977, je travaillais et apprenais aux côtés de mon Directeur Général. Un jour, le voyant extrêmement tendu en raison des objectifs quasi journaliers imposés à l’établissement, je lui  dis « Monsieur, vous pouvez vous occuper des clients, je ferai le reste ». Là encore, le respect de la parole donnée fut réel. Il me fit confiance et je m’investis totalement pour contribuer à la « remise en marche » de l’Etablissement.

Des rencontres déterminantes : de Georges Mossé à Mario di Genova…

« Quand vous cherchez des gens à recruter, vous devez rechercher trois qualités : l’intégrité, l’intelligence et l’énergie.
Et s’ils ne possèdent pas la première, les deux autres vous tueront. » Warren Buffet

« En 1978, le Directeur Général de l’époque décida de quitter l’établissement. Monsieur George Mossé,  me proposa de le remplacer. Ma réponse fut : je suis d’accord si Monsieur Monsieur M. (i.e. le DG) est d’accord ». La loyauté est essentielle. Monsieur M. valida. Je me retrouvai à 34 ans à la tête du Grand Hôtel et de ses 400 salariés ! »

Clairvoyant quant à son manque d’expérience, Pierre Ferchaud embaucha un numéro 2 plus âgé et surtout, beaucoup  plus  expérimenté pour l’épauler : Bernard Roustan.

« L’art de la réussite consiste à savoir s’entourer des meilleurs. »

John Fitzgerald Kennedy

« Bernard Roustan était bien plus fort que moi, plus expérimenté Je le savais. En 1981, lorsque je fus contraint à une très longue hospitalisation et immobilisation, il aurait pu, sans effort, prendre ma place. Au contraire, il a tenu la maison, prenait de mes nouvelles. À mon retour, il m’accueillit chaleureusement, avec bienveillance et me permit de me remettre en selle rapidement ! Je ne sais si cela relève de l’exception mais dans ces moments là, l’humain a un sens ». Pierre Ferchaud

En 1979, le président Georges F. Mossé quitta le Groupe pour s’installer définitivement aux États-Unis après avoir fait l’acquisition du “The Hay-Adams Hotel“ à Washington D.C.

Le Grand Hotel traversait les derniers nuages sur la voie du redressement. Ce redressement démarré sous l’ère Mossé allait définitivement être parachevé sous enseigne Intercontinental, avec la présidence emblématique de Mario di Genova.

Mario di Genova

Mario di Genova (diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Marseille et Docteur Honoris Causa de l’Académie Mexicaine de Droit International), italien né en France et naturalisé citoyen américain,  fut président de la division Europe/Afrique d’InterContinental Hotels Corporation par le président Robert Huyot. Il a occupé de nombreux postes de direction depuis ses premières années au sein d’Intercontinental. En 1982, il est devenu président de la division des Amériques. Il est resté à ce poste lorsque M. Prince a pris sa retraite de l’InterContinental Hotel Group.

Le poste qu’il occupait précédemment chez InterContinental était celui de vice-président principal des opérations à New York. Auparavant, il a été vice-président des opérations de la division Amérique latine et directeur général de l’hôtel Tamanaco, à Caracas, au Venezuela ; directeur général de l’hôtel El Salvador InterContinental, à San Salvador, au Salvador ; directeur résident de l’hôtel Nacional, à La Havane, à Cuba ; et directeur adjoint exécutif de l’hôtel Tequendama, à Bogota, en Colombie. Avant de servir dans l’armée américaine, il était directeur adjoint de l’hôtel Plaza à New York.

Mario di Genova fut actif dans diverses organisations : il a été président de l’association hôtelière vénézuélienne et des membres alliés de l’ASTA pour l’Amérique centrale et membre du conseil d’administration de l’association hôtelière internationale. Il était membre du Knickerbocker Club de New York, de l’Académie nationale d’histoire et de géographie du Mexique, de la Société héraldique d’Angleterre et fut membre correspondant du Collège italien d’héraldique, à Rome.

Décoré de l’Ordre du Mérite de la République italienne, de la Croix d’or de Saint-Jean de Latran (Vatican), de la Médaille des Arts, des Sciences et des Lettres de France, de l’Ordre national de la République de Côte d’Ivoire, et il fut fait  Chevalier Commandeur du Saint-Sépulcre.

Que dire de Mario di Genova ?

Aristocrate italien né en France, érudit, spécialiste de la Grèce antique, au charisme indéniable et à la gentillesse réelle. « Sans véritablement me connaître, il s’enquit régulièrement, durant ma convalescence, de mon état de santé ! Si George Mossé fut mon mentor, Mario di Genova agit comme un père. Ce sont ces rencontres qui ont forgé ma vie » explique Pierre Ferchaud.

Pierre Ferchaud fut ainsi Directeur Général du Grand Hotel sous sa présidence de 1978 à 1982, participant activement au redressement définitif du Grand Hotel redevenu bénéficiaire !

Fort de cette première expérience couronnée de succès mais désireux, comme il se l’était promis à l’école hôtelière, de découvrir d’autres établissements, il rejoint en 1982 le groupe Marriott au Prince de Galles. Les années 1980 sont une période charnière pour notre secteur.

Entre changement de système de rémunération et innovation en matière de restauration, le Prince de Galles va s’avérer un véritable laboratoire d’innovations pour l’époque. En cuisine, Pierre Ferchaud recrutera le talentueux chef Pierre Dominique Cécillon (ancien membre de la brigade de Joël Robuchon lors de l’ouverture  du  Concorde La Fayette, il créera en 2005 « L’Atelier des cinq sens »). Avec le chef barman Gaby Wilhem, ils associeront pour la première fois, Bar et restauration devenant les premiers (avec le Nova Park Elysées alors dirigé par Richard Duvauchelle) à créer une carte Restauration de Bar, ancêtre du lounge et des offres « snacking & finger food ». C’est également au Prince de Galles que le mouvement de changement de système de rémunération (le fameux « passage au fixe » au détriment du « pourboire » de la loi Godard) sera lancé.

En 1988, il quittera le Marriott Prince de Galles pour rejoindre le Groupe des Hôtels Concorde où il sera successivement Directeur Général Adjoint du Groupe des Hôtels Concorde puis Directeur Général du Concorde La Fayette !

Le Bristol, premier hôtel distingué « Palace »

En 1993, Pierre Ferchaud rejoint l’Hôtel Le Bristol Paris et son ami Jean-Paul Lafay (alors Directeur de l’hôtel), pour succéder à Raymond Marcelin, Directeur Général et président du directoire, après Pierre Jammet  (qui était le petit-fils du fondateur du Bristol, Hippolyte JAMMET) initiateur des fameux « mercredis du Bristol »  Ce même Pierre Jammet sera le premier hôtelier parisien à imposer les mueslis au petit-déjeuner ; à force « d’en servir » aux autres hôteliers, Pierre Jammet créera la société Jamets devenue depuis la spécialiste des petits-déjeuners pour les hôtels de prestige!

Directeur Général Adjoint durant le « handover », Pierre sera nommé officiellement Directeur Général de l’hôtel et Président du Directoire en 1994.

Durant son mandat, Pierre va faire, pour le compte du propriétaire, le Groupe Oetker, l’acquisition de l’immeuble mitoyen, à l’angle du Faubourg St Honore et de Avenue Matignon, superviser l’extension de l’établissement (26 chambres et suites supplémentaires), le développement de l’offre restauration (avec l’arrivée du chef Eric Fréchon qui obtiendra alors sa troisième étoile ***, l’ouverture de la Brasserie 114 Faubourg …) L’Hôtel Bristol sera désigné meilleur hôtel du monde en 2008 par le magazine américain “Institutional Investor“ et deviendra ensuite le premier hotel reconnu Palace.

Fidèle à ses principes, Pierre aime à rappeler que « l’acquisition de cette notoriété et le développement de l’entreprise n’eut jamais été possible sans le soutien du Groupe et de la famille Oetker, famille imprégnée d’un sens aigu de la qualité, d’une vision très claire et d’un professionnalisme exemplaire » et « que cela fut rendu possible par l’implication, le professionnalisme et le dévouement des collaborateurs de l’Hôtel.  C’est aussi à eux qu’il convient de rendre hommage pour avoir contribué au développement et à la mise en lumière cet établissement devenu Mythique ! »

Récemment, au Bar du Bristol, j’eus l’occasion d’échanger avec un « ancien » entré au Bristol en 1989 : « avec Monsieur Ferchaud, me dit-il, nous avons vraiment senti que le Bristol était revenu au centre de l’hôtellerie parisienne, de l’histoire ».

Depuis, ce repositionnement a été, il faut l’avouer, plus que confirmé mais selon lui « tous les anciens se rappellent les années Ferchaud comme des années exceptionnelles ! »

Son départ du Bristol en 2010 n’a en rien ralenti le rythme de Pierre Ferchaud :  passeur d’expériences et d’émotions, il est devenu un Manager de transition « d’élite », intervenant pour des propriétés exclusives souhaitant disposer d’une vision « Luxe » de leurs produits : de la pré-ouverture de la Réserve Paris au Management de transition du Métropole Monte-Carlo ou du Yatch Club de Monaco,  de la Direction de l’hôtel Barrière Le Fouquet’s ou du Raphaël Paris ! Un jour à Paris, demain à St Tropez, un autre jour à Bruxelles ou à Monaco !

Ces missions lui permettent non seulement de transmettre son savoir et sa passion tout en lui permettant de conserver ce qu’il a toujours eu de plus cher depuis son enfance : la soif de découvrir et la liberté !

Cette liberté « chérie » lui a permis, ces 10 dernières années,  de multiplier les rencontres de qualité; parmi elles, retenons un moment fort relevé par Pierre : sa rencontre avec Monsieur Fadi Boustany, propriétaire de l’Hôtel Métropole à Monaco. Durant cette collaboration monégasque, Pierre se verra remettre, par ses pairs (réunis au sein de  l’European Hotel Managers Association) le prix de l’ « Hotel Manager of the Year 2015 » !

Fadi Boustany, une si belle rencontre

Fadi Boustani

Propriétaire  de l’Hôtel Métropole Monaco, Fadi Boustany est, aux yeux de Pierre, « LA» rencontre de ces 10 dernières années. À la question du pourquoi, Pierre répond : « dans les yeux de cet homme, dans ses mots, j’ai vu tout ce que j’ai cherché ma vie durant : l’intelligence, la détermination, l’humour, l’érudition, l’humilité, la puissance, la délicatesse et la bienveillance ». Être à ses côtés a été comme l’aboutissement d’un parcours. Robert Vernay, le premier directeur général qu’il côtoyait quotidiennement,  Mario di Genova, Georges Mossé et Fadi Boustany. 4 personnalités exceptionnelles qui ont construit l’homme qu’il est aujourd’hui, qu’importe l’âge et l’expérience.

Hôtelier intergénérationnel

Tom Krooswijk, Christophe Laure & Peter Giacomini

Et c’est là la grande force de Pierre : véritable lien intergénérationnel, il transmet en permanence sa passion de l’hôtellerie, de l’humain ! Ses amis Christophe Laure, Peter Giacomini ou Tom Krooswijk peuvent en témoigner.

Après 50 ans d’hôtellerie, il n’est pas de ces hommes nostalgiques. La mélancolie est là mais pas la nostalgie. La mélancolie d’une hôtellerie où diriger un hôtel était synonyme d’autonomie, de liberté, de singularité !

Avant de nous quitter, j’ose une dernière question : « Pierre, penses-tu que l’hôtellerie est plus difficile aujourd’hui ? »  Il me répond spontanément (preuve que la réflexion a déjà été menée) : « Pour être tout à fait honnête, le Métier a été, est et connaîtra toujours des aspects difficiles, demandant constance, sérieux, abnégation.  Le fameux adage « le client est roi » a faussé les rapports pendant plusieurs décennies. Si le client est roi, l’hôtelier n’est surtout pas sa reine !  L’hôtelier est avant tout le médecin des âmes, un thérapeute : aux caprices d’antan a succédé parfois l’agressivité, le besoin de reconnaissance. Ainsi, la difficulté est toujours là mais le rôle a évolué, il faut s’adapter : autrefois aubergiste, hôte et diplomate, l’hôtelier d’aujourd’hui soigne les maux des clients… externes et internes : face aux comportements autocratiques de certains, l’écoute et la psychologie deviennent essentielles. Il faut avant tout vouloir procurer du bien-être ».

Le métier sera aussi difficile que l’ambition que l’on y consacre. Pierre Ferchaud

L’entretien touche à sa fin. Dans une semaine Pierre retrouvera l’Hôtel de Paris à Saint-Tropez qu’il dirige pour la deuxième année.  J’y serai ! Merci Pierre pour ta disponibilité et toutes ces années de fidélité.

Remerciements à notre ami Jérôme Bourdais de Villa M pour l’accueil qu’il a su nous réserver.

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