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Social | Sous-traitance, les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles racontent leurs 22 mois de lutte « contre le patronat »

Durant près de deux ans, 17 femmes de chambre, deux gouvernantes et un équipier se sont mobilisés pour améliorer leurs conditions de travail. Pour franceinfo, les deux porte-parole reviennent sur ce long combat qui a débouché sur une victoire.

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« Après vingt-deux mois de mobilisation, cet accord signé, c’est que du bonheur », s’exclame Sylvie Kimissa Esper, contactée par Franceinfo. Entre le 17 juillet 2019 et le 21 mai 2021, la femme de chambre et dix-neuf de ses collègues ont tenu tête à leur employeur, la société STN, qui sous-traite une partie du nettoyage de l’hôtel, et au groupe Accor qui possède le lieu situé dans le 17e arrondissement de Paris. Sylvie Kimissa Esper et l’autre porte-parole du mouvement, la gouvernante Rachel Keke, ont signé mardi 25 mai, un accord historique qui valide la quasi-totalité de leurs revendications. Pour franceinfo, les deux meneuses du mouvement se remémorent ce conflit social, le plus long de l’histoire de l’hôtellerie.

Rachel Keke et Sylvie Kimissa Esper

Le silence, par « peur de perdre son emploi »

Retour en 2019. Le 17 juillet, sous un ciel nuageux, l’équipe de ménage arrive à l’hôtel (trois étoiles) Ibis Clichy-Batignolles. Comme à leur habitude, femmes de chambre et gouvernantes commencent par signer le registre des présences. « Mais cette fois, aucune de nous n’a pris son bac à produits, son balai, et sa serpillière », se souvient Sylvie Kimissa Esper, 50 ans, dont huit passés à travailler dans cet hôtel. Un mot d’ordre a été transmis parmi la quarantaine de salariés de la société STN : « Aujourd’hui, on commence la grève ». Dehors, sur le parvis, les attendent Tiziri Kandi et Claude Levy, les deux syndicalistes de la CGT-HPE (Hôtels de prestige et économiques) qui les accompagneront tout au long de leur mobilisation.

« Ce qui nous a fait basculer, ce sont les conditions de travail. »

Sylvie Kimissa Esper, femme de chambre

à franceinfo

Depuis que STN a repris le contrat de sous-traitance à l’hôtel Ibis Batignolles, cinq ans auparavant, la situation s’est « dégradée », raconte Sylvie Kimissa Esper. Elle décrit une cadence de travail devenue intenable dans les étages du plus grand Ibis de Paris. Alors que son contrat stipule qu’elle doit nettoyer « 21 chambres par jour », il lui est demandé d’en faire « jusqu’à 40″ dans la journée. « C’est un métier très physique qui devient compliqué avec l’âge. Quand vous tirez un lit, lourd, 30 à 40 fois par jour, vous perdez la santé », déplore la femme de chambre, qui combat son mal de dos à coups de médicaments.

Le médecin du travail, quand il est consulté, tente de réduire le nombre de chambres que les employées doivent briquer. « Mais voyant que la salariée, moins efficace, rapportait moins, STN la convoquait pour la muter dans un autre hôtel », raconte Rachel Keke, 47 ans, avec dix-sept ans d’ancienneté dont les trois derniers en tant que gouvernante. « Au moment où a débuté la grève, dix salariées devaient être mutées », explique-t-elle.

« Nous avons essayé de trouver un accord à l’amiable avec notre employeur. Mais il ne nous a pas écoutés, il n’a fait que nous balader. »

Rachel Keke, gouvernante à l’hôtel Ibis des Batignolles

à franceinfo

L’enjeu est de « dénoncer la situation sous peine qu’elle empire », d’autant que, selon les deux porte-parole, leur employeur profite du fait que la majorité des personnes concernées « ne savent ni lire ni écrire et n’osent rien dire de peur de perdre leur emploi ». L’accompagnement de la CGT-HPE permet au groupe d’acquérir de nombreuses connaissances sur leurs droits. « Avant d’entrer en grève, il y avait beaucoup de choses que nous ne savions pas, comme le paiement des heures supplémentaires, et d’autres que nous croyions normales, comme le paiement à la tâche, révèle Rachel Keke. La lutte nous a beaucoup apporté. » D’un commun accord, les grévistes réclament une prime de panier-repas, une baisse de la cadence, une nouvelle tenue de travail et l’arrêt des mutations abusives.

Défections dans les rangs

En août 2019, STN leur fait une première proposition : « Un panier-repas à deux euros et une canette. » « Nous avons répondu non, explique Sylvie Kimissa Esper. Toutes nos autres revendications étaient ignorées. C’est là que nous avons compris que le combat allait durer. » Les premiers mois de grève sont chaotiques. « Tout le monde n’avait pas un esprit fort », poursuit la porte-parole du mouvement, qui assure que « la CGT-Propreté a voulu casser la grève en négociant individuellement la reprise ».

« Elle appelait les maris des femmes de chambre pour qu’ils leur disent de reprendre le travail, sinon elles allaient être licenciées. »

Rachel Keke

à franceinfo

Le bruit court parmi les grévistes que les deux porte-parole sont manipulées par leur syndicat. Une accusation qui fait encore bondir Rachel Keke : « C’était honteux de dire ça. C’était minimiser ce que nous vivions et nous considérer comme incapables de nous soulever ! » De 35 grévistes au début du mouvement, le groupe passe à 24 puis à 20 en décembre 2019. Composé de 17 femmes de chambre, deux gouvernantes et un équipier, il va tenir durant les vingt-deux mois de mobilisation.

« Nous demandions seulement à bénéficier de nos droits »

Par tous les temps, le piquet de grève est assuré. D’abord devant leur lieu de travail : « Du lundi au vendredi, de 9 heures à 16 heures, nous étions devant l’hôtel dans une ambiance la plus festive possible », décrit Sylvie Kimissa Esper. Confettis, danses et chansons sont toujours au rendez-vous. « Frottez ! Frottez ! », lance l’une des meneuses. « Il faut payer ! », lui répondent les autres, dans une rengaine devenue slogan.

Un planning est mis en place, avec des roulements le week-end afin de soulager les grévistes qui fatiguent. Des opérations « coup de poing » sont également décidées. Une à deux fois par semaine, femmes de chambre et gouvernantes tentent d’occuper le hall d’un des nombreux établissements parisiens gérés par le groupe Accor. « Nous avons passé plusieurs jours avec tam-tams et sifflets devant les restaurants du Royal Monceau et du Pullman à Bercy », se remémore Sylvie Kimissa Esper. Fin 2019, la mobilisation contre la réforme des retraites donne une plus grande visibilité à leur mouvement. « Des collectifs féministes nous ont rejoints mais aussi les Verts, des membres du PCF, d’Attac et du mouvement Génération.s », énumère la syndicaliste Tiziri Kandi.

Les jours de mobilisation s’enchaînent sans aucune négociation à l’horizon et en pleine pandémie de Covid-19. « Nous avons fait ça même pendant le confinement », insiste Sylvie Kimissa Esper, qui cochait « déplacement professionnel » sur son attestation pour aller manifester. Le 17 juillet, les grévistes célèbrent leur première année de mobilisation devant le siège du groupe Accor à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). « Nous étions une vingtaine, et personne de chez Accor n’est venu nous voir », se désole Rachel KekeEt de s’interroger : « Pourquoi nous ont-ils traités comme ça ? Parce que nous sommes noirs ? Nous demandions seulement à bénéficier de nos droits… »

« Il faut t’accrocher maman »

Les confinements et couvre-feux successifs n’entament pas la détermination des 20 grévistes. En fin d’année dernière, accompagnés de leur famille, ils passent Noël sur un piquet de grève devant le Novotel Châtelet, propriété du groupe Accor. Un repas de fête est improvisé sur le parvis de l’hôtel. Des cadeaux, récoltés par la CGT-HPE, sont offerts aux enfants. Dans les familles de Rachel Keke et Sylvie Kimissa Esper, même si mari et enfants doutaient au départ, le soutien est sans faille. « Quand il m’arrivait de ne plus y croire, mon fils de 10 ans me disait : ‘Il faut t’accrocher maman' », sourit Sylvie Kimissa Esper.

« Nous avons passé 22 mois à nous serrer la ceinture », ajoute-t-elle. Lors des huit premiers mois, les grévistes ont tenu grâce aux dons et à la caisse alimentée en partie par des adhérents de la CGT. « Nous nous partagions entre 200 et 300 euros chacun par mois », calcule la femme de chambre. Puis l’allocation de chômage partiel leur a permis de compléter leur perte de salaire, sans oublier l’entraide communautaire. Reste que depuis juillet 2019, Sylvie Kimissa Esper a vécu avec à peine « 500 euros mensuels » (contre 1 000 en temps normal) pour un contrat de 6 heures par semaine. Mais le sacrifice en valait la peine, assure celle qui a été épaulée financièrement par son mari. « Renoncer aurait été pire pour nous ! Reprendre nos postes avec zéro revendication acquise et prendre le risque que les problèmes se multiplient, c’était impensable. »

« Nous avons gagné au dernier moment »

Après une année au point mort, les négociations reprennent début 2021. Les deux porte-parole, accompagnées par leur syndicat, participent à toutes les médiations avec STN. La première a lieu le 5 février. L’ambiance n’est pas au dialogue côté employeur, se remémore la syndicaliste Tiziri Kandi, laquelle s’entend dire qu’« ‘il n’y a pas d’argent, que c’est la crise ». Environ sept semaines plus tard, le 24 mars, STN propose de mettre en place une « indemnité repas à 3,60 euros » mais refuse toujours de revenir sur les mutations des dix salariées. Une troisième médiation se déroule en avril sans aucune avancée.

Motivés, les grévistes continuent de mener leurs actions devant des hôtels du groupe. Le 19 mai, ils envahissent le hall du Pullman Tour Eiffel. « Nous avions choisi cet hôtel complètement par hasardEt nous nous sommes rendu compte que s’y tenait un séminaire de chefs d’Etat africains avec le PDG du groupe Accor, Sébastien Bazin. Ils étaient tous paniqués », sourit Rachel Keke. L’action porte ses fruits, et un accord reprenant la quasi-totalité des revendications est trouvé deux jours plus tard.

« Avec le retour des touristes, Accor ne voulait pas rater la reprise en ayant un mouvement social dans les halls de ses hôtels. »

Sylvie Kimissa Esper

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