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Face à la crise sanitaire, le géant de l’hôtellerie Accor en mode survie

Frappé de plein fouet par les effets de la crise sanitaire, le leader européen de l'hôtellerie doit puiser dans ses réserves pour boucler ses fins de mois. Et convaincre les banques de sauver sa filiale AccorInvest.

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Le premier groupe européen d’hôtellerie traverse l’une des pires périodes de son histoire. La faute au Covid bien sûr. Accor appartient à l’un des secteurs les plus exposés. Il a annoncé une perte d’1,5 milliard d’euros au premier semestre, pour 917 millions de chiffre d’affaires. Particulièrement ciblées, ses enseignes haut de gamme (Sofitel, Raffles, Fairmont…), dont la clientèle internationale ne se déplace plus, et les hôtels de milieu de gamme (Novotel, Mercure), qui souffrent du ralentissement généralisé et de la quasi-disparition des voyages d’affaires et des salons.

Fin août, Sébastien Bazin, le PDG du groupe, a lancé un plan de 200 millions d’euros d’économies sur deux ans, avec 1 000 suppressions de postes dans les QG. Après un printemps calamiteux, avec les 5 100 hôtels du groupe à l’arrêt et la chute de 50 % de ses revenus, l’été laissait croire à un redémarrage, contredit assez vite par la deuxième vague pandémique. Aujourd’hui, le management ne voit pas la sortie du tunnel. « A ce jour, nous avons 80 % de nos hôtels ouverts, avec 30 à 40 % d’occupation, indique Jean-Jacques Morin, le directeur général adjoint. Nous avons mis en place les meilleures procédures sanitaires pour convaincre les clients que nos hôtels offrent un excellent niveau de protection, mais en attendant des jours meilleurs, cette crise nous coûte 80 millions d’euros chaque mois. »

Mauvaise affaire boursière
Au séisme de la crise économique se sont ajoutés plusieurs effets défavorables. En Bourse, l’action Accor qui a perdu 40 % de sa valeur depuis le début de l’année, fait figure de mauvaise affaire assurée. « L’exclusion d’Accor du CAC 40 n’est pas seulement symbolique, c’est un déclassement lourd de conséquences, explique un analyste financier. L’action se retrouve mécaniquement boudée par les très nombreux et riches investisseurs internationaux qui achètent l’indice sans regarder de près ce qu’il y a dedans, les volumes vont s’en ressentir. »

Mais d’une façon générale, les actionnaires savent gré à Sébastien Bazin d’avoir mené une stratégie dite d’ « assets lights » depuis quelques années. « Il s’est heurté à des réticences, mais il a allégé ses coûts et encaissé un pactole qui lui permet d’être plus solide dans la crise que la plupart de ses concurrents », analyse Georges Panayotis, du cabinet MKG. Jusqu’à présent, les ventes de ses murs ont permis à Accor de rémunérer ses actionnaires et de financer des acquisitions jugées stratégiques. Aujourd’hui, ce cash est une assurance-vie. Jean-Jacques Morin, le patron des finances du groupe, évoque toujours la somme de 4 milliards d’euros de liquidités, chiffre annoncé au printemps.

En se recentrant sur le seul métier de la gestion des hôtels et en devenant une société de marques, laissant à d’autres la propriété des murs et même des fonds de commerce, le groupe Accor a déplacé le problème en cas de crise. L’hôtelier détient à 30 % AccorInvest, propriétaire de 900 hôtels dans 30 pays, aujourd’hui dans une situation critique : les loyers ne rentrent plus, mais les coûts sont bien là, à commencer par les salaires de quelque 30 000 salariés. Ses dirigeants ont demandé la nomination de mandataires judiciaires comme l’a révélé Les Echos , ce qui va permettre d’ouvrir de grandes discussions avec les banques et les actionnaires pour identifier des solutions.

Fronde des franchisés
Bercy surveille de près un dossier vu comme un cas d’école. Les actionnaires institutionnels – dont les fonds souverains saoudien et singapourien – qui détiennent 70 % de cette société craignent d’être les dindons d’une farce qu’on leur présentait il y a seulement quelques mois comme une belle affaire puisqu’il leur suffisait d’encaisser des loyers.

« Cette entreprise n’a pas encore obtenu d’accord bancaire pour ses prêts garantis par l’Etat, mais nous avons bon espoir » , explique Jean-Jacques Morin, administrateur d’AccorInvest. Plusieurs scénarios sont envisagés, augmentation de capital, report des échéances… mais pour sa part, le groupe Accor, minoritaire au capital, ne paraît pas disposé à payer l’addition.

Une fronde plus dangereuse encore menace. Celle des franchisés, cette armée d’entrepreneurs et investisseurs, liés au groupe depuis souvent plusieurs décennies et qui, parfois, en connaissent les rouages mieux que ses dirigeants. Ils versent des droits à Accor et n’ont de cesse d’en avoir pour leur argent. Pour eux aussi, les périls sont importants, les revenus et le moral en berne. « Nous leur accordons des facilités de paiement, nous les aidons à obtenir de meilleurs prix pour leurs approvisionnements » , explique Jean-Jacques Morin. Pas sûr que cela suffise. Cette remuante communauté qui a son mot à dire lorsque le groupe lance une campagne avait été pacifiée et rassurée par l’ex-patron de la zone Europe, Franck Ger-vais. Or, celui-ci vient de quitter le groupe. Un départ présenté comme un effet de la simplification de la gouvernance. Mais plusieurs franchisés s’étonnent que l’on n’ait pas voulu retenir ce polytechnicien, ex-directeur général de Voyages SNCF, et jusque-là considéré comme le dauphin idéal du PDG.

Manque de notoriété
D’autres, contactés par Challenges , rappellent qu’en 2018, Sébastien Bazin avait tenté de racheter la participation de l’Etat dans Air France-KLM, faisant valoir des synergies commerciales qui n’auraient pas eu le temps de s’exprimer avec l’irruption de l’épidémie. Aucun doute, celle-ci aurait été encore plus dévastatrice pour un groupe à la fois aérien et hôtelier. En revanche, le programme de fidélisation ALL (Accor Live Limitless) installe lentement sa notoriété et la nouvelle plateforme de réservation all.accor.com ne parvient toujours pas à disputer leur suprématie aux géants Booking et consorts. « Sébastien Bazin est un peu comme Macron, observe Paul Dubrule, le cofondateur du groupe. Il a tendance à préférer une prise de décision rapide venue d’en haut. » Renouvelé en avril dernier pour un mandat de trois ans, le PDG d’Accor doit convaincre de sa capacité à relancer la machine.

 

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