- Publicité Top Ad -

« Nous sommes les ambassadeurs du style à l’italienne »

Au milieu du XVIe siècle, lorsque le cardinal Tolomeo Gallio confie à l’architecte Pellegrino Tibaldi la tâche de construire un refuge au lac de Côme, le résultat est une demeure qui fait de l’ombre à toutes les autres : une vaste résidence d’été, baptisée plus tard Villa d’Este. Gallio ne restera que vingt jours dans la propriété, et elle fait bientôt partie des haltes incontournables du Grand Tour des aristocrates européens. En 1873, la Villa d’Este devient un hôtel et un lieu de refuge apprécié de la noblesse, des célébrités et de la jet-set, de Frank Sinatra à Ava Gardner, de Lady Gaga à Barack Obama. C’est dans ses jardins Renaissance de 25 hectares qu’Alfred Hitchcock tourne son premier film en 1925, Le Jardin du plaisir.

À l’intérieur de la propriété, la Belle Époque voit son existence prolongée jusqu’à nos jours, avec du marbre, des rideaux en brocart de soie, des bustes et des tableaux ancestraux et des dorures de l’Ancien Monde. Comment gérer un tel patrimoine, même à titre créatif ? Nous avons posé la question au directeur général aux faux airs de Roger Moore, Danilo Zucchetti. Autrefois à la tête du Bauer Palazzo à Venise, il a travaillé pour Four Seasons à Milan, Berlin et Tokyo. « Mais quand l’appel de la Villa d’Este s’est fait entendre, je n’ai pas pu résister », dit-il. Depuis 2005, il est directeur général de l’hôtel et depuis 2012, gérant du groupe auquel appartient également la Villa La Massa à Florence.

L’un de vos prédécesseurs a déclaré : « Ce que doit savoir faire un directeur de la Villa d’Este, c’est de ne pas la transformer en hôtel. » Que voulait-il dire ?

Cette demeure s’apparente plutôt à une villa particulière. Par exemple, il n’y a pas de journaux ni de magazines dans le hall. La Villa d’Este a été bâtie il y a cinq cents ans comme une propriété privée, et notre tâche est de préserver ce patrimoine. Lorsque nous la rénovons, nous prenons toutes les précautions pour conserver son authenticité. Dès que l’on franchit la porte, on a l’impression de pénétrer dans un autre monde.

La décoration de l’Ancien Monde, les Antiquités, les œuvres d’art, les tapis… Tout cela peut vite prendre la poussière. Comment rendez-vous justice à l’histoire, sans en faire un pastiche d’elle-même ?

C’est un exercice d’équilibriste, mais ma devise est la suivante : « Evolve, but never change », évolue mais ne change pas. Cette évolution concerne avant tout le confort, mais aussi des choses que l’on ne voit pas nécessairement : les matelas, la climatisation, les ustensiles de cuisine. On ne peut pas changer le brocart, la soie et les meubles antiques : un lieu tel que la Villa d’Este représente non seulement le style à l’italienne, mais également l’artisanat italien. Chez nous, il est inutile d’ouvrir la fenêtre pour savoir où l’on se trouve.

Le mobilier est fabriqué par des artisans lombardiens. Vous ne pouvez donc pas simplement racheter les meubles endommagés ?

C’est comme dans une résidence privée. Ce matin par exemple, j’ai signalé une chaise manquante dans le hall, à la suite de quoi j’ai appris que nous l’avions portée en réparation. Tous les hivers, les ébénistes et artisans se mettent à l’ouvrage. Pour moi, c’est l’une des périodes les plus belles de l’année : tout le monde s’active de toute part, de sorte que pour la réouverture en mars, tout soit aussi net qu’au premier jour. Trois mois sont tout juste suffisants pour s’occuper de cette grande dame. Mais les résidents apprécient chaque petit détail, de l’entretien des jardins aux chambres…

… qui sont toutes différentes. Certains résidents réservent toujours la même, vous ne pouvez donc pas non plus changer leur aménagement, n’est-ce pas ?

Plusieurs résidents réservent en effet la même chambre depuis des décennies. Ils venaient lorsqu’ils étaient enfants et viennent à présent avec leurs propres enfants. Certains se mettent dans une colère folle si leur suite a été donnée à quelqu’un d’autre. C’est pourquoi nous devons également prêter une grande attention à leur aménagement. Bien sûr, nous changeons certaines choses : nous avons progressivement éclairci les couleurs des chambres par exemple. Mais les temps changent, et pour nous aussi. À l’époque, tous les murs étaient rouge foncé, mais cela ne convient plus aujourd’hui. Lorsque nous changeons la couleur des murs, nous envoyons par avance des photos par e-mail à nos habitués.

Les demandes des résidents changent-elles, elles aussi ?

Bien sûr. De nos jours, les résidents ne veulent plus qu’on leur impose quoi que ce soit, tout est fondamentalement plus flexible. Nous tenons à ce que chacun obtienne ce qu’il souhaite à tout moment, afin de pouvoir profiter de la propriété à sa manière. Cela nécessite de faire preuve de plus d’attention et de tact. Je dois moi aussi parfois m’adapter. Par exemple, à mes débuts ici, je ne voulais pas de wi-fi sur la terrasse, car elle se serait transformée en salle de réunion. Aujourd’hui, une connexion internet y est bien sûr disponible, mais heureusement, personne ne sort son ordinateur.

Vous ne pourriez de toute façon pas l’interdire aux résidents.

Savez-vous quel est le plus beau compliment que je reçois ici ? « Quel mot n’existe pas à la Villa d’Este ? – Le mot “non”. » Car le luxe n’est pas synonyme d’opulence ou d’apparat. Le luxe est le contraire de la médiocrité. C’est du moins mon interprétation. Le luxe, c’est ce qui permet d’échapper au quotidien, c’est pour cette raison que nos résidents sont notre priorité.

Il n’est pas rare que des stars hollywoodiennes séjournent chez vous. Au printemps, lors du tournage de House of Gucci, Lady Gaga et Adam Driver sont descendus à la Villa d’Este. Ces célébrités se font-elles remarquer dans la villa ?

Nous avons la chance d’avoir suffisamment d’espace pour que chacun ait sa sphère privée. Pour House of Gucci, nous avons ouvert l’hôtel quelques semaines à l’avance pour que l’intégralité de l’équipe de tournage puisse y dormir. Nous recevons également de nombreuses demandes de tournage, mais nous refusons la plupart d’entre elles. Nous restons volontiers entre nous. La Villa d’Este est un cercle privé. Nos résidents respectent la sphère privée des autres. Ce n’est pas un lieu pour être vu. C’est un lieu à voir. Cary Grant avait voulu rester une seule nuit pour récupérer sa nouvelle Jaguar, il est finalement resté trois semaines. Mais il est indéniable que les célébrités nous aident aussi à nous faire connaître. Notre meilleur ambassadeur est George Clooney, qui nous rend souvent visite pour le dîner. Pour lui comme pour tous les propriétaires de villas aux alentours, la Villa d’Este est un lieu privilégié.

Est-il vrai que vous avez davantage d’employés que de résidents ? (…) Lire la suite sur AD Magazine

- Publicité 4 -