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Pas facile de rencontrer Michel Reybier. Il nous a fallu une décennie, avouons-le, avant de réussir à tenir en joue de notre stylo-plume cet oiseau rare. Survivant d’un accident d’avion il y a vingt-six ans, il n’est pas expansif et se passerait d’apparaître dans le classement annuel des grandes fortunes établi par Challenges (il est en 53e position cette année). Après avoir vendu son empire agroalimentaire à une multinationale américaine dans les années 1990, Reybier a bâti une entreprise dans l’hôtellerie de luxe sous l’enseigne La Réserve. Plus qu’une marque, c’est un aveu. Mais cessons de nous plaindre, puisqu’il en est sorti pendant près de deux heures (de sa réserve !).

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Michel Reybier,  proprietaire des hotels Reserve, ici a Paris. Paris, FRANCE-13/01/2015.  ' Jerome MARS/JDD/SIPA/JDD_1228.06/Credit:Jerome MARS/JDD/SIPA/1501181313 - Exclusif: Michel Reybier, proprietaire des hotels Reserve - 00702115_000006Il a suffi de le prendre à son propre piège. « Faites savoir à Monsieur Reybier que nous souhaitons lui parler. » La demande faite à Nicolas Vincent, chaleureux et efficace directeur de la Réserve Ramatuelle, lors d’un séjour dans son établissement, a été vite couronnée de succès. « Nous ne sommes pas tenus de réaliser l’impossible pour nos hôtes, mais nous avons une forte propension à vouloir les satisfaire coûte que coûte, c’est notre culture! », venait de nous expliquer Philippe Chauve, l’homme aux clefs d’or de la maison, entre deux missions pour le compte de ses clients fortunés. Ce jour-là, il devait trouver une Lamborghini verte et organiser une croisière en Corse. Il est en première ligne parmi ceux qui font vivre la philosophie singulière de Michel Reybier dans l’hospitalité de luxe.

Quelques minutes plus tard, le directeur lui-même nous annonce: « Par chance, il vient d’arriver et vous invite à prendre un verre sur la terrasse à 17 heures. » Regard clair et moue d’enfant sérieux, le maître des lieux porte bien ses 75 ans. Propriétaire de la marque de cosmétiques anti-âge Nescens, dont les précieuses crèmes s’étalent dans les spas de ses hôtels, il n’en fait pas mentir les promesses. Il est venu acheter un vignoble en Provence, Château la Mascaronne, et compte le hisser, comme il l’a fait avec son champagne (Jeeper) et son bordeaux (Cos d’Estournel), dans l’univers du luxe.

 

D’abord sur ses gardes, il se détend après cinq minutes de discussion et se confie. « Je n’ai pas de doctrine et surtout pas de process standardisés, mais je pense avoir un goût sûr. Cela me permet de ne pas laisser les architectes et décorateurs n’en faire qu’à leur tête et j’ai surtout quelques certitudes assez simples. Par exemple, ce qui fait un grand hôtel, c’est d’abord un site exceptionnel. » Il désigne la baie de Ramatuelle, d’une beauté à couper le souffle, la mer turquoise, visible de n’importe quel point de ce palace-belvédère qui ignore superbement, en contrebas, les bruyants restaurants de plage. « C’est la même chose à Zermatt, où nos hôtels s’ouvrent sur le mythique Cervin qui est bien plus qu’une montagne, à la fois un monument unique, un lieu d’histoire et une fierté nationale! » Dans leur dialogue singulier avec une montagne de légende, la tour Eiffel pour ses suites du Trocadéro à Paris, les lacs de Zurich et de Genève ou l’infini de la Méditerranée, ses maisons obligent leurs occupants à se considérer comme des privilégiés, à voir grand.

Havres de paix
Le luxe, c’est de pouvoir ouvrir sa fenêtre sur la beauté du monde. Mais c’est aussi une atmosphère créée dans ces havres de paix pour que rien ne puisse contrarier l’impression de plénitude et de bonheur simple des résidents. La déco signée Jacques Garcia ou Philippe Starck tempérée par le maître des lieux y aide beaucoup. « Notre seule ligne, c’est le bien-être de nos clients, affirme Reybier. C’est le point commun à toutes nos activités dans l’hôtellerie, les grands vins, la santé, la cosmétique. »

Quelques exemples bien concrets: il n’y a pas de formalités administratives à l’arrivée du client (check-in). Tout se déroule en douceur, sans que l’on n’ait besoin d’y prêter la moindre attention, pas de bagagiste empressé qui saute sur votre valise. Vous êtes encore en train de discuter de la pluie et du beau temps avec le jeune homme qui a pris en charge votre voiture, et vos bagages vous attendent déjà dans votre suite comme par magie.

A chaque fois qu’un rituel inutile meurt, une parenthèse de bien-être le remplace. Les arrivants sont guidés vers leurs appartements et une visite de l’hôtel leur est proposée. « Mais certains clients apprécient de s’attarder en prenant un verre. Pas question non plus de les brusquer! L’accueil est différent pour chacun. » Rien n’est standardisé. Le minibar est gratuit (jus de fruits bio, snacking gourmand). Les tarifs des chambres sont suffisamment élevés pour que la maison bannisse les factures en dix pages, garnies de suppléments.

Codes du luxe réinterprétés
A La Réserve, les codes ancestraux de l’hôtellerie de luxe sont réinterprétés. On ne trouve pas ici de chasseurs en livrée traquant le pourboire. Pas de portes à tambours monumentales, pas de gerbes de fleurs géantes, aucun chef concierge aux aguets, posté derrière son comptoir. Tout est fluide et suggéré, rien n’est proclamé. « Je passe beaucoup de temps à répondre à des demandes par mails, à communiquer par SMS et WhatsApp, le métier a beaucoup changé avec les nouvelles technologies », indique Philippe Chauve, qui a installé son bureau un peu à l’écart mais visible de tous dans un lieu de passage où les clients le saluent de loin, mais viennent aussi faire un brin de causette.

Autre innovation, les résidents doivent pouvoir s’adresser à n’importe quel membre du personnel pour n’importe quelle question. Bien entendu, celui-ci se mettra en relation avec son collègue le plus compétent. Cela paraît évident, mais c’est une petite révolution dans un univers de l’hôtellerie où les tâches ont été codifiées et réparties depuis la fin du xixe siècle, où l’on a toujours fonctionné en silos étanches dont les responsables ne rendent compte qu’au directeur (réception, service d’étages, gouvernantes, conciergerie, restauration, jardiniers). Cela repose sur un personnel ouvert, polyvalent et surtout bien formé, une ressource rare.

L’éléphant comme totem
Un animal symbolise cette philosophie. L’éléphant, vu comme un géant paisible, solide, altruiste et élégant, a été choisi par Michel Reybier pour représenter sa marque. « Il est présent dans plusieurs de nos maisons à commencer par Cos d’Estournel, notre vignoble bordelais dont les bouteilles ont été acheminées à dos d’éléphant en Inde il y a deux cents ans », explique l’hôtelier, qui déploie tous azimuts son logo à silhouette de pachyderme. Il est visible plus de soixante fois dans chaque chambre. Sur les vitres de la salle de bains, sur les gels douches, les serviettes, les pantoufles, les peignoirs, la bouteille de champagne, le sac en tissu… C’est une vérité bien connue des experts en marketing comportemental: la répétition crée la proximité et favorise la fidélisation. L’homme qui a rendu célèbre Justin Bridou, Cochonou et les jambons Aoste dans sa première carrière en connaît un rayon. Mais chut ! La meilleure des stratégies de marketing est celle dont on ne parle jamais. « Le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de se désaltérer », dit le proverbe africain.

 

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