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Lorsque Michael a posé le pied à Calais, il y a six ans, son objectif était clair : rejoindre l’Angleterre. Mais les conditions de vie dans la « jungle », le froid, l’insécurité, l’en dissuadent rapidement. « Chaque jour était tellement difficile, je me suis dit que je ne pourrai pas rester ici trop longtemps », raconte-t-il. Dans le nord de la France, le jeune Érythréen commence à apprendre le français et à envisager un ailleurs, en France. Aujourd’hui, c’est à Rennes, en Bretagne, que Michael construit sa vie, avec sa femme et ses trois enfants, et un nouveau projet. Après avoir travaillé plusieurs années dans la collecte de cartons et de papier, c’est dans les cuisines des restaurants rennais qu’il souhaite désormais s’épanouir.

Ce matin d’octobre, un léger crachin tombe sur une zone industrielle sans âme, à l’ouest de la capitale bretonne. La grisaille tranche avec l’entrain qui règne dans la grande salle du centre de formation Envergure. Michael et huit de ses camarades s’affairent à la préparation du jour : un chou-fleur « à la syrienne », accompagné d’une sauce au yaourt et aux concombres et d’une salade de laitue, tomates et oignons. Souheil et Hassan coupent détaillent en fleurette le chou-fleur, Kizanet et Michael épluchent les concombres pendant que d’autres cisaillent le persil et tranchent les tomates.

La motivation, le pré-requis principal

Tous entament la dernière semaine de la formation Sésame de commis de cuisine, reconnue par la profession. Financée par Pôle Emploi et l’État, en partenariat avec l’OFII et les organisations professionnelles, elle est ouverte à toute personne majeure disposant d’une protection internationale. Pendant cinq mois et demi, les candidats assistent aux cours pratiques de cuisine, où ils apprennent les rudiments de la restauration. Des leçons de français leur sont aussi dispensées et débouchent, à l’obtention du diplôme, sur une certification en langue de niveau A2.

Durant la formation, les candidats effectuent aussi un stage de deux semaines « en situation » dans les cuisines d’un restaurant. « Pendant ces quinze jours, les apprenants ne sont pas vraiment jugés sur leur technique, car pour certains, travailler dans le secteur est une totale découverte. Nous précisons bien aux employeurs que c’est au savoir-être et au comportement général qu’ils doivent être attentifs, affirme Julien Guezingar, coordinateur du programme pour Akto, l’une des associations pilotes du dispositif, avec Refugee Food. La motivation est d’ailleurs le pré-requis principal exigé pour postuler à la formation. Que le candidat n’ait jamais touché un couteau de cuisine ne change rien. Nous, ce qu’on leur demande, c’est de s’engager jusqu’au bout et de saisir les opportunités qui s’offrent à eux à l’issue de la formation ».

Pour s’inscrire, chaque candidat doit tout de même répondre à un questionnaire linguistique de niveau A1, à des tests de logique et de dextérité et se soumettre à un entretien de motivation avec Véronique Quibel, assistante pédagogique chez Envergure.

Une évaluation que les dix élèves de la session numéro 3 de Sésame ont tous passée avec succès. Le plus difficile est venu ensuite, lorsqu’il a fallu apprendre les techniques de préparation de la gastronomie française. « La cuisine ici est compliquée, tout est différent », avoue Raëd. Avant son arrivée en France en 2018, le jeune homme de 22 ans cuisinait un peu, en Irak, avec son père, « des plats qui n’ont rien à voir avec ce que l’on apprend ici ». Mais il a, tout de même, fait une belle découverte : « Le foie gras », lance-t-il en riant.

 

Tashi, ancien restaurateur au Tibet, a dû « apprendre à rajouter du beurre » et à « cuisiner sans piment ». Hassan, ancien électricien en Syrie est, quant à lui, parti de zéro.

Dans quelques jours, leurs progrès seront évalués lors de l’examen final. Avec une fiche recette et un panier d’ingrédients, les élèves devront préparer un plat et un dessert dans un temps imparti. Le tout, sous l’œil d’un chef cuisinier.

« Dénoyauter », « économe » et « canneleur zesteur »

À l’étage, la quatrième promotion Sésame, elle, a fait sa rentrée il y a deux semaines. Avant de commencer le stage en entreprise, les formateurs s’assurent que les candidats maîtrisent suffisamment le français « pour comprendre ce qu’on leur demande, et être le plus efficace possible en cuisine », explique Stéphane Kemal, qui dispense les cours. Dans une petite salle blanche aux murs tapissés de vocabulaire professionnel, douze élèves suivent avec attention les explications de l’ancien professeur de philosophie. Le thème d’aujourd’hui : « Préparer les fruits ».

Originaires de Syrie, d’Afghanistan, du Soudan, d’Érythrée et du Bangladesh, les futurs commis découvrent des mots tels que « dénoyauter », « économe », ou « canneleur zesteur ». Stéphane Kemal parle d’une voie forte, chaque mot s’accompagne du geste qui lui correspond. Ici, « on ne fait pas du professoral, tient-il à préciser. Il ne faut pas oublier que certains ne sont pas allés en cours depuis de nombreuses années. Certains n’y ont même jamais mis les pieds. S’ils ne peuvent pas participer, on les perd ».

Les réponses des élèves fusent en écho aux questions du formateur. « L’économe sert à enlever la peau. On dit comme ça, la peau ? Je n’arrive pas à le prononcer », avoue Nada, 29 ans, qui a fui la Syrie. « Ce n’est pas très grave, l’essentiel c’est qu’on te comprenne quand tu seras en stage. Tu vas y arriver », encourage Stéphane Kemal. « Je les préviens dès le premier jour. Ici, se moquer des accents des uns et des autres, c’est interdit, assure-t-il. On ne sait pas comment peuvent réagir les gens, alors dans le doute, on s’abstient ».

 

Pour les aider à régler leurs « problèmes périphériques », les élèves peuvent compter sur Véronique Quibel, qui avoue « outrepasser un peu » ses compétences. Prises de rendez-vous chez le médecin, chez l’orthodontiste pour les enfants, actualisation Pôle Emploi… La responsable « multi fonctions », auprès de laquelle beaucoup viennent confier leurs soucis quotidiens, n’hésite jamais à décrocher son téléphone. « On veut vraiment qu’ils se dédient à 100 % à la formation, c’est important pour l’après ».

Un secteur en pénurie de main-d’oeuvre

Une fois l’examen réussi, les candidats disposent de deux mois d’accompagnement supplémentaires, dédiés à la recherche d’emploi. « Des ateliers sont organisés pour rédiger son CV, se préparer à un entretien d’embauche ou connaître ses droits dans le milieu de la restauration », indique Julien Guezingar. Cette année, après des mois de crise due à la pandémie, le secteur est particulièrement demandeur de main-d’œuvre. Au printemps 2021, 240 000 postes restaient toujours non pourvus, d’après les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). (…) Lire la suite sur Info Migrants

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