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GL Events : un modèle dans la tourmente

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Le système mis en place chez GL Events livre, en cette période de crise inédite, ses limites. Et ses failles. L’indivisibilité des activités, l’organisation hypercentralisée, la structuration capitalistique, le tropisme « croissance externe », et les « proximités » politiques du Pdg Olivier Ginon, collusives avec l’ancien maire de Lyon Gérard Collomb ou troubles avec le chef de l’Etat Emmanuel Macron, formaient hier un modèle performant ; aujourd’hui, ces particularismes assombrissent les hypothèses de sortie de crise.

Ce qui est force en contexte dynamique peut se révéler faiblesse en contexte de crise. Voilà une règle qui pourrait s’appliquer aux propriétés entrepreneuriales, industrielles, capitalistiques, managériales, sociales, et de gouvernance de GL Events. Car oui, concède-t-on dans l’entourage direct et chez d’anciens proches collaborateurs du Pdg Olivier Ginon, au sein des instances de direction du groupe ou dans son écosystème financier et « métier », ce qui a nourri l’impressionnante croissance depuis quarante-deux ans pourrait se révéler obstacle, si jamais les circonstances nationales et internationales venaient à entraver durablement le redressement de l’activité. « Cet automne et cet hiver seront cruciaux », synthétisent, à l’unanimité, acteurs et observateurs de l’entreprise.

A l’heure d’une superposition kafkaïenne des mesures de protections anti-Covid-19 propres à chaque pays, se déplacer au Chili, au Brésil, en Chine, au Japon ou à Dubaï relève du parcours du combattant pour les salariés de GL Events amenés à gérer les sites, manager les équipes ou commercialiser les salons. Plus grave, si la reprise hors de France – où par ailleurs le groupe ne peut bénéficier des mêmes généreuses aides d’Etat pour endiguer la panne d’activité – demeure chaotique, et si les salons Equita (28 octobre – 1er novembre), Pollutec (1er – 4 décembre), et surtout Sirha (23 – 27 janvier) et 1ère Vision – l’événement mode et textile se déroule en deux temps sur l’année et selon nos informations générerait au total environ trente millions d’euros de chiffre d’affaires – sont annulés voire seulement éreintés, les dégâts économiques et symboliques seront délétères. A l’égard du corps social, mais aussi de « celui » qui a fait basculer le groupe dans une réalité jugée en interne affadissante voire « déshumanisante » et auquel Olivier Ginon accorde une attention aiguë : le marché financier.

Augmentation de capital ou cession partielle ?

Ce dernier en effet détient le pouvoir de maintenir le cours de l’action (Euronext Paris) dans des proportions douloureuses mais encore tolérables – autour de 10 euros, après avoir culminé à 24 euros avant l’irruption de la crise.

Il détient aussi les clés de ce qui apparaît de plus en plus inexorable : une augmentation de capital, d’abord pour panser les plaies et les séquelles de la profonde blessure, le tarissement des recettes dans la totalité des pôles, ensuite pour lorgner de possibles acquisitions stratégiques – ce fut le cas en juillet, avec la reprise du salon de la mode Tranoï à la barre du Tribunal de commerce de Paris -, et plus globalement pour soutenir une croissance selon l’analyste financier Florian Cariou (Midcap Partners) « anormalement consommatrice de capital ». La levée de fonds, annoncée le 16 avril, de l’Anglais Informa (1,08 milliard d’euros) épouse d’ailleurs cette logique.

Or une augmentation de capital pourrait être lourde de conséquences, surtout si le cours de l’action poursuit sa dégradation.

En effet, la dilution mécanique du pourcentage du capital détenu par la holding d’Olivier Ginon, Polygone SA, pourrait la précipiter dans une position certes toujours dominante mais alors minoritaire. Polygone SA possède 54,5% du capital et le fonds d’investissement belge Sofina 15%… A noter qu’en février le capital de Polygone SA connaissait un sensible changement : en rachetant à Olivier Roux ses 15,16%, Olivier Ginon élevait sa participation à 54%, Sofina (17%), le family office de Sophie Defforey, Aquasourça (10%), d’autres investisseurs se partageant le solde.

Autre hypothèse, jugée crédible dans et autour de l’entreprise, si ses comptes et surtout si l’avenir du groupe et de la filière continuent leur dépérissement : la cession, partielle ou totale, d’un des trois pôles Live, Exhibitions et Venues. Mais en l’occurrence, leur extrême interdépendance synonyme d’indivisibilité, qui se traduit en termes d’activité jusque dans l’organisation comptable interne et qui, en période faste, constitue une spirale vertueuse, se commue en inextricable impasse une fois la tempête survenue.

Comment vendre une entité dont dépend la santé de chaque autre ? Et, de plus, à quel prix ? « Le nerf de la guerre », fait observer un fin connaisseur, sera le volume final de dépréciation des actifs immatériels qu’actera le commissaire aux comptes. « Que vaut aujourd’hui un salon acheté 70 millions d’euros ? ».

Les failles d’une organisation hyper centralisée

Cette consubstantialité des activités révèle un autre handicap, exacerbé par la culture de centralisation, de contrôle, de compétition interne déployée par Olivier Ginon, et qui a accouché d’une organisation à la fois totalement verticalisée vers lui, et totalement horizontalisée selon les activités et au gré des acquisitions successives.

L’obligation de consolider et d’homogénéiser aux plans comptable, administratif, ressources humaines, n’est pas contestée. Et elle ne peut qu’être complexe dans un ensemble où coexistent cent quarante métiers et douze conventions collectives. Le « problème », stigmatise-t-on en interne, est que cette organisation nie les principes de transversalité, est corsetée en silos imperméables, se consolide par des mouvements de gestion alambiqués et des services supports « étouffants ».

Des directeurs de Business Unit (BU) ou cadres dirigeants autrefois aux commandes de leur propre entreprise qu’ils ont cédée dans le cadre de l’intensive stratégie de croissance externe, en souffrent. Et de déplorer outre une administration et des process chronophages, énergivores et épuisants, des marges d’initiatives, de décisions et de responsabilité vampirisées, ce qui les dépossède de leurs prérogatives, et pénalise voire décourage leur contribution entrepreneuriale. Une situation qui pâtit d’une culture et d’une politique ressources humaines confinées au « strict minimum », en écho à la personnalité, aux principes managériaux, à la logique omnipotente d’Olivier Ginon – qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

Les effets collatéraux de la stratégie de croissance externe

Le modèle managérial et social développé par tout entrepreneur n’est pas indépendant de celui, économique, qui lui sert de locomotive. Tous deux sont même « intimement imbriqués », démontre, à cet effet, Agathe Potel, professeur de leadership et développement personnel à emlyon business school. Les sociétés dont la croissance est endogène construisent une culture managériale davantage inclusive, collaborative et innovante, tournée vers une histoire et un projet communs qui rassemblent plus qu’ils ne crispent. A l’inverse, celles rivées à une stratégie de croissance externe, obsédées par la conquête – qui peut devenir « cannibalique » -, sollicitent des mécanismes qui peuvent être « de hâte, agressifs, tendus, pressés par les investisseurs », et cela s’exprime jusque dans l’assimilation ou plutôt l’absorption des recrues. « Et donc le profil des managers pour conduire cette stratégie est calé sur ces particularismes ».

L’organisation de GL Events légitime des rivalités internes qui peuvent être stimulantes, mais aussi nocives. Chaque directeur de BU étant ligoté à une exigence souvent extrême de marges, il n’est pas encouragé à favoriser celles de ses « partenaires internes » ni même à promouvoir les autres métiers du groupe – surtout lorsque l’éventail des compétences est jugé disparate. Une logique de la « division » peu propice à cimenter une culture commune, et qui même peut se « payer cash ».

Ainsi, se remémore un adversaire, il conquit un appel d’offres face à deux entités de GL Events qui avaient préféré concourir l’une contre l’autre plutôt que s’associer ; « unies, il ne fait aucun doute qu’elles auraient gagné ». L’agilité, que commande la riposte à une crise d’une fulgurance et aux manifestations aussi considérables, a toujours figuré parmi les principes maîtres du groupe, elle caractérise même la vista et les qualités entrepreneuriales et visionnaires d’Olivier Ginon ; mais s’est-elle fossilisée au fil du grossissement du groupe et de la rigidification de son organisation ?

Gérard Collomb, Emmanuel Macron : troubles relations politiques

Un autre « événement » survenu au début de l’été, a priori anecdotique, n’est pas de nature à renforcer le pouvoir d’Olivier Ginon dans un domaine pourtant stratégique pour lui et pour son entreprise : la politique. La « vague verte » qui a déferlé en France, de Bordeaux à Annecy, de Chambéry à Strasbourg, de Tours à Grenoble, de Marseille à Nancy, pourrait handicaper la croissance de GL Events dans ces agglomérations, s’il se vérifie que le « développement » de son métier, consommateur d’infrastructures, de transports aériens et routiers, de pollutions, et de… consommation, ne figure pas dans l’ADN des élus écologiques.

Le « cas » de Lyon, où la municipalité et l’agglomération ont également basculé EELV, suscite une double inquiétude. Car à cette hypothèse s’ajoute un fait : la déroute de Gérard Collomb prive Olivier Ginon de celui qui, dès son élection en 2001, a copieusement favorisé l’essor local de son groupe.

Rien, au départ, ne militait pour une telle proximité entre l’élu socialiste franc-maçon et le catholique sympathisant de droite. Mais tous deux se sont accordés sur une ambition identique : bâtir. Et c’est ainsi qu’Olivier Ginon a enraciné, à partir de Lyon, son impressionnante croissance, que fait briller en 2014 l’édification de son nouveau siège social. Bien plus tard, Emmanuel Macron consolidera plus encore le lien entre les deux Lyonnais, le futur ministre de l’Intérieur figurant dans la garde rapprochée de celui qui s’émancipe du gouvernement Valls et crée En Marche. La grande proximité d’Olivier Ginon avec le chef de l’Etat, au profit de qui il organise chaque année à l’Elysée un grand banquet entouré d’un aréopage prestigieux de chefs étoilés, pourrait se révéler précieuse pour desserrer les menottes qui compriment la filière événementielle.

L’idylle n’est toutefois pas sans ombres ; ainsi la réputation du chef d’entreprise a récemment été ternie par des soupçons de favoritisme au profit du candidat Macron, dont les comptes de campagne ont révélé d’importantes ristournes à l’occasion des meetings orchestrés dans les salles « GL Events », notamment à la Mutualité le 12 juillet 2016.

C’est d’ailleurs concomitamment à l’irruption de cette « tache » que surgit, en juin 2018, le cuisant échec, pour la première fois dans « sa » ville, du candidat Ginon à l’exploitation d’un lieu qui ne semblait pas pouvoir lui échapper, lui le passionné de cuisine et créateur du Sirha : la cité de la Gastronomie, dans le nouvel écrin de l’Hôtel Dieu.

Une défaite indolore au plan économique – selon nos informations, il s’était lancé, sur les injonctions de Gérard Collomb, à contre-cœur dans la bataille de ce dossier mineur qui se serait révélé « bâclé » – mais cinglante en termes d’image et de symbole. Le vent a-t-il tourné ?

Rapport brûlant de la Cour des comptes

Seize mois plus tard, en novembre 2019, la Chambre régionale des comptes publiait un rapport brûlant sur les largesses dont la Ville de Lyon, alors administrée par Gérard Collomb, s’était rendue coupable, de 2013 à 2017, au profit du LOU Rugby, propriété… d’Olivier Ginon (via GL Events Sport, détenue à 89% par GL Events).

Y était anathématisé, relativement aux baux emphytéotiques accordés à Vénissieux puis à Gerland – où, adossé au Matmut Stadium, ex-enceinte de l’Olympique lyonnais, est entrepris un ambitieux programme immobilier (Les Jardins du LOU, 28 000 m2 de bureaux) -, pêle-mêle : des « équilibres financiers mal évalués », des « clauses contradictoires, au détriment des intérêts de la ville », « d’importants manquements de la part du preneur, jamais sanctionnés par la collectivité », le « manque de transparence et de garantie des intérêts de la ville », et même un « risque pour la ville ».

Celle-ci, en effet, était sommée de verser une indemnité de 11,8 millions d’euros au club, et donc supportait au bénéfice de ce dernier un effort financier « bien supérieur aux plafonds d’aide fixés par le code du sport ». Quant aux travaux indemnisés par la Ville, ils étaient, dans leur majorité, accomplis par des filiales de GL Events (pour un montant de 7,3 millions d’euros). Officiellement, aucune investigation judiciaire ne semble avoir été engagée. L’éviction de Gérard Collomb de l’échiquier politique peut-elle modifier le décor ?

« Caméléon »

Les facultés de « caméléon » d’Olivier Ginon forcent l’admiration, même chez ses détracteurs, et s’expriment particulièrement dans ce domaine politique. La manière dont il s’accommoda de Chiara Appendino, maire de Turin et élue du sulfureux Mouvement 5 étoiles, est restée dans la mémoire d’un ancien membre du comex. Ou comment le « pragmatisme » – qui ne devrait pas manquer de rattraper l’édile lyonnais Grégory Doucet et le président de la Métropole Bruno Bernard, une fois convaincus des apports conséquents de GL Events à l’économie locale -, constitue une langue universelle. Cette disposition à « l’adaptation », que ne manquerait pas de saluer Charles Darwin, Olivier Ginon devra plus que jamais la cultiver. Car plus loin dans le temps, d’autres redoutables nuages pourraient s’accumuler, qui questionnent la faculté de GL Events de riposter.

En effet, si les plus optimistes prévisions de retour à une « activité normalisée » du secteur mentionnent au mieux 2023 – l’exercice 2021, qu’Olivier Roux prédit « très convalescent », pourrait, selon certains observateurs enregistrer un effondrement de 25% de l’activité -, elles se fondent sur un rétablissement des autres secteurs dont dépend celui des congrès et salons internationaux, en premier lieu le transport aérien, et sur la reproduction des « comportements » ante-pandémie.

Certes, comme le rappelle Christopher Hogg, professeur de marketing à HEC et directeur scientifique du programme Leadership et entrepreneuriat, « l’interaction sociale » n’est pas prête de décliner.

« Les villes qui, comme Londres, Berlin ou Paris, attirent les jeunes diplômés, plus largement les talents, et donc la manne du capital-risque, produisent une intelligence collaborative et proposent une création de valeurs fondées sur l’interaction sociale. Laquelle résulte d’un savant mélange présentiel – digital, auquel les métiers de l’événementiel sont arrimés : ils s’en nourrissent, et ils les nourrissent ».

Certes aussi, résume Bertrand Biard, ce que la filière irrigue au plan économique dans le tourisme d’affaires, mais également en matière d’innovation, de lien social, donc de dynamique sociétale, est tel, qu’indubitablement elle se redressera. Tel, et tellement soutenu par l’action lobbyste des acteurs de la filière, « culturellement » soudés par l’imbrication et la réciprocité de leurs relations, et à laquelle outre la proximité d’Olivier Ginon avec le chef de l’Etat, les attributions d’Olivier Roux à la présidence de l’Unimev contribuent fortement. Retrouver le plaisir, la dynamique, l’utilité des événements présentiels constituera un moteur essentiel de retour à meilleure fortune. Mais dans quelles proportions ?

Une lame de fond vers une logique de « moins »

Olivier Roux, se fondant sur la capacité de résilience d’une nature humaine intrinsèquement tournée vers la « rencontre », chasse le spectre : la crise de 2008 avait secrété « la même » prophétie. « Preuve qu’il n’en fut rien, 2019 aura été l’année des records ».

Son optimisme semble toutefois l’isoler. L’évidence est d’ores et déjà que nombre d’entreprises, certaines drastiquement et pour des raisons autant économiques que « philosophiques », contraindront l’emploi de l’avion, contesteront l’utilité de certains congrès, arbitreront autrement leurs dépenses marketing B to B, limiteront les déplacements des participants.

En droite ligne de la popularisation soudaine du télétravail, des sociétés à l’impact symbolique et médiatique planétaire comme Twitter, Facebook, Google ou Oracle, ont annoncé restreindre voire suspendre les voyages d’affaires. Des événements aussi stratégiques que les Jeux Olympiques de Tokyo et même Paris 2024 devraient abaisser substantiellement leur voilure, ce qui pourrait constituer davantage qu’un ajustement conjoncturel : une lame de fond vers une logique de « moins ». La révolution structurelle du « métier événementiel » est bel et bien en cours, irréversible. Et à plusieurs titres expose particulièrement GL Events.

En effet, la digitalisation exponentielle de l’organisation événementielle, inéluctable, pourrait dévaloriser jusqu’à l’obsolescence les lourds actifs corporels des pôles Live (estimés à 120 millions d’euros) et, dans une moindre mesure, Venues (modernisation et maintenance des enceintes).

« Le poids, élevé, de ces actifs matériels pénalise la capacité de flexibilité et d’agilité du groupe au moment où il doit, dans l’urgence, se réinventer », estime un ancien membre du comité exécutif.

D’autre part, et surtout, engager ladite révolution exige une organisation interne, un management, une culture, et donc un leadership appropriés. Et c’est peut-être là, contrairement aux évidences, que le questionnement s’avère le plus aigu. Olivier Ginon est-il évidemment l’homme de la situation ? La suite, le 17 septembre. 

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