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Le gouvernement a instauré depuis le 17 octobre un couvre-feu à partir de 21 heures à Paris et dans huit métropoles pour une durée de quatre à six semaines afin de lutter contre la propagation du Covid-19. Face à cette annonce qui fragilise encore un peu plus un secteur déjà en crise, le monde de la restauration a décidé – fait exceptionnel ! – de parler d’une seule et même voix. Dans une tribune initiée par Le Point et Mathieu Pacaud, notamment chef d’Apicius à Paris, cuisiniers de tous bords – des bistrots aux tables étoilées –, restaurateurs de Paris et de province, propriétaires de grands groupes et organisations patronales… interpellent ensemble le président de la République. Cette lettre ouverte que publie Le Point demande à Emmanuel Macron en premier lieu l’autorisation d’accueillir dans leurs établissements les convives qui arrivent avant 21 heures. D’autres mesures sont réclamées en parallèle pour tenter d’endiguer les faillites : un moratoire sur les loyers ; l’annulation des charges patronales durant l’état d’urgence sanitaire ; l’accès au PGE (prêt garanti par l’État) pour toutes les entreprises ayant eu au moins un bilan positif au cours des trois dernières années ; l’ouverture du chômage partiel aux gérants majoritaires ; l’aménagement des règles comptables… De Guy Savoy à Philippe Etchebest en passant par Yves Camdeborde, Olivier Bertrand, Jean-Louis Costes, Laurent de Gourcuff…, le cri d’alarme d’une profession qui met les bouchées doubles pour s’en sortir.

« Monsieur le président de la République,

Lors de votre intervention télévisée du 14 octobre 2020, vous avez annoncé l’instauration d’un couvre-feu quotidien à partir du 17 octobre de 21 heures à 6 heures pour une durée de quatre à six semaines à Paris et dans toute l’Île-de-France ainsi que dans huit métropoles : Aix-Marseille, Lyon, Grenoble, Saint-Étienne, Toulouse, Montpellier, Lille et Rouen. Pour l’économie de la restauration déjà terrassée par de nombreux mois de crise, cette annonce nous porte le coup de grâce.

Monsieur le président, derrière notre économie, derrière les chiffres, ce sont des vies qui sont en jeu. Celles de nos familles, de nos équipes, de nos fournisseurs. Nous craignons collectivement de ne jamais pouvoir nous en relever. Avant votre annonce, nous redoutions déjà que 30 % de nos restaurants fassent faillite d’ici la fin de l’année. Depuis, nous pensons que ce sera bien pire.

Aucun cluster n’a été déclaré dans nos établissements

Nous avons choisi ce métier par passion, nous avons pris des risques, financiers bien sûr, mais aussi personnels et familiaux. Nous avons travaillé sans relâche pour ouvrir, tenir et faire perdurer nos établissements. Animés par cette volonté commune qui nous rassemble et nous unit : partager, faire aimer et faire plaisir.

Les cafés, les bars, les bistrots, les brasseries, les restaurants, les tables gastronomiques… constituent des repères dans la vie d’un quartier. Ils sont un rempart contre l’isolement, des relais de sociabilité et de solidarité. Y compris pour les apprentis, les étudiants en extra et les jeunes des métiers de la restauration qui y trouvent plus qu’un salaire. Comme bien d’autres pans de la culture de notre pays que sont les théâtres, les cinémas, les musées…, nous sommes la richesse de la France et la fierté des Français. Mais notre art de vivre si singulier et si unique au monde court un grand danger.

21 heures, rentrez chez vous !

Monsieur le président, nous avons déjà expérimenté la distance entre les promesses et les actes. Nous n’avons plus de trésorerie. Nous sommes noyés sous la paperasse. Nous devons régler les congés payés de nos salariés qui étaient pourtant en chômage partiel, et des loyers pour des lieux que nous ne pouvons que partiellement utiliser pour notre activité. Êtes-vous bien certain que vos décisions pour nous soutenir seront suivies d’effet ? Nous avions supposément la possibilité de payer nos impôts avec un délai supplémentaire, alors comment expliquez-vous que nous ayons malgré tout à supporter des pénalités de retard ?

Monsieur le président, gouverner, c’est anticiper. Nous avons tout fait pour prévoir et faire face au moindre aléa, les problématiques de nos fournisseurs, les aménagements à faire, les contrats de nos employés, pendant que vous changiez, presque chaque semaine, les règles du jeu. Des règles qui s’ajoutent à d’autres obligations qui ne furent pas respectées par une minorité dont nous payons aujourd’hui le lourd tribut.

Aujourd’hui, la lumière s’est éteinte

Si nous vous interpellons, c’est qu’il y a péril en la demeure. Dans cette crise que nous traversons collectivement, chacun doit prendre sa part de responsabilité. Nous avons pris déjà plus que la nôtre. Nous sommes prêts à continuer si vous nous en donnez les moyens et que vous nous faites confiance. Pour que la restauration française ait encore un avenir, une solution doit être trouvée afin que puisse être maintenu au moins le premier service du soir. Nous nous engageons à garantir toutes les mesures sanitaires.

Monsieur le président, nous vous demandons de permettre aux convives qui arrivent avant 21 heures chez nous de rester dîner. L’attestation que nous leur fournirions en fin de repas les autoriserait à rentrer au plus tard à 23 heures chez eux. Même ainsi, notre secteur sera durement touché. Nous avons besoin que soient également prises des mesures d’urgence : un moratoire sur nos loyers ; l’annulation des charges patronales pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire ; l’ouverture du chômage partiel aux gérants majoritaires, et du PGE (prêt garanti par l’État) à toutes les sociétés, ayant eu au moins un bilan positif au cours des trois dernières années. Et enfin, le vote dans la loi de finances de l’aménagement des règles comptables pour nous permettre de renforcer nos capitaux propres, notamment en nous autorisant à réévaluer dans nos bilans nos fonds de commerce en franchise d’impôt, et ainsi éviter de nombreuses faillites.

Monsieur le président, à plusieurs reprises vous nous avez réunis, en invitant restaurateurs et cuisiniers à l’Élysée. Vous nous avez à chaque fois exprimé votre fierté, vous nous avez appelés à faire rayonner la France. Or, la lumière s’est éteinte. Il ne tient qu’à vous de la rallumer afin d’être à la hauteur des paroles que vous avez prononcées devant nous. Vous nous avez dit avoir besoin de nous. Nous avons été là. Aujourd’hui, c’est nous qui avons besoin de vous. »

Les signataires

Les chefs : Mathieu Pacaud, Guy Savoy, Hélène Darroze, Yannick Alléno, Pierre Gagnaire, Christian Le Squer, Pierre Hermé, Kei Kobayashi, Philippe Etchebest, Michel Sarran, Stéphanie Le Quellec, Christian Constant, Yves Camdeborde, Stéphane Jégo, Bruno Doucet, Juan Arbelaez, Gérald Passédat, Mathieu Viannay, Dimitri Droisneau, Jacques et Laureny Pourcel, Akrame Benallal, Guillaume Sanchez, Tabata et Ludovic Mey, Rodolphe Pottier, Florent Ladeyn, Thibaut Gamba, Paul Langlère, Guillaume Leclère, Maxime Apert, Aziz Mokhtari, Benjamin Lechevallier.

Les patrons de groupes de restauration : Olivier Bertrand, Jean-Louis Costes, Gilbert Costes, Thierry Costes, Laurent de Gourcuff, Benjamin Patou, David Holder, Thierry Bourdoncle, Gilles Malafosse, Jérémie Trigano, Paul Canarelli, Thierry et Laurent Gardinier, Stéphane Manigold, Arthur Benzaquen, Nicolas Richard, Pascal Mousset, Pierre Moussier, Dominique Paul, Mathieu Bucher, Valérie Saas-Lovichi, Pierre Guéret, Olivier Lejeune, Arnaud Meunier, Fabien Chalard, maisons Ducret-Chavant, Christophe Baron et Romain Pecqueret.

Les organisations patronales : l’Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie), le GNI (Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration)

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